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porta le portrait de Cooke au Café de la Bourse (Exchange Coffee House), où se réunissaient les principaux négocians de la ville. Ils déclarèrent à l’unanimité que l’auteur d’un pareil chef-d’œuvre ne devait pas rester attelé, malgré lui, au joug de la routine mercantile. Le patron de Charles-Robert ne manqua pas l’occasion, et, avec la sagacité d’un vrai commerçant, ouvrit immédiatement une souscription pour subvenir, au moins pendant quelque temps, à l’éducation du jeune peintre qui venait de se révéler tout à coup. Les fonds furent faits en un clin d’œil, et Leslie partit pour Londres en compagnie du beau-frère de M. Bradford.

Il rentrait ainsi à dix-sept ans dans cette vaste métropole où il était né, où il devait mourir. Sa mémoire d’enfant avait conservé quelques vagues images des splendeurs de la capitale britannique, que les gravures d’Hogarth et les romans de miss Burney lui avaient rappelée bien des fois. Chez son patron d’ailleurs, les écrivains et les lettrés qu’il avait pu entendre ne parlaient guère que de Londres, de ses grands hommes et de ses merveilles. Le jeune Leslie savait par cœur les noms des acteurs et des peintres en renom. Son émotion était grande en songeant qu’il allait entendre Kemble, mistress Siddons, Liston, Matthews, Bannister, et porter à « M. West » une lettre de recommandation. West était alors le peintre national par excellence, gloire classique dont le temps a maltraité les rayons. Allez parler de West à nos intrépides préraphaélites !

Ce grand artiste d’autrefois fit accueil au jeune protégé de la Pensylvanie, et celui-ci se mit aussitôt en devoir de bien employer les deux années que devait durer son séjour à Londres. Il forma d’abord des relations avec les jeunes Américains placés dans les mêmes conditions que lui. L’un d’eux, M. Morse, devint son compagnon de logement. Un autre, qui a été depuis le peintre le plus renommé des États-Unis, — M. Allston, — était, à titre de senior, le directeur de leurs études à l’académie de peinture. Leslie avoue naïvement dans son autobiographie qu’il dut à ce dernier « le sentiment de la couleur, » qui jusqu’alors lui avait manqué ; « cependant, ajoute-t-il, après qu’il m’eut fait comprendre les merveilles de l’école vénitienne et apprécier dans les toiles de Paul Véronèse le charme exquis qu’elles recèlent, j’admirai longtemps encore sur parole le mérite des peintres de Venise… Je me souviens que lorsque Allston me montra les Ages de Titien comme un ouvrage de premier ordre, je crus de prime abord qu’il se moquait de moi. J’ai cependant cette justice à me rendre que je fus enchanté des Raphaël compris dans la même collection[1]. »

  1. La collection Bridgewater.