Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/827

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui doit « fournir, dit-il, au vrai philosophe les principes, les vérités fondamentales. C’est à lui ensuite à les développer, à les démontrer par l’expérience en les appliquant aux faits de l’homme et de la nature. » Cette parole nous est donnée « comme une idée-mère, comme un germe intelligible. Pourquoi donc repousser cette lumière quand on n’en a pas d’autre ?… Et si l’on venait à nous dire qu’il ne convient pas à la dignité du philosophe d’admettre tout d’abord comme principe une parole qu’il n’a pas vérifiée, nous répondrons qu’il faut bien commencer par admettre quelque chose, à quelque école qu’on appartienne, et qu’il n’y aura jamais d’explication philosophique possible sans une donnée quelconque posée au commencement, et qui doit être justifiée ensuite par l’application même[1]. » On le voit : ici mieux encore que n’avait fait Lamennais, on saute par-dessus l’histoire, on dédaigne les pauvres et traînans procédés de l’esprit humain, on s’envole tout d’un trait vers la foi à travers le ciel : ce qui est assurément le chemin le plus court et la précaution la plus sûre pour ne rencontrer ni Bayle, ni Voltaire, ni Rousseau, ni les rationalistes anglais, ni les mythologues allemands.

Toutefois celui-ci l’emporte, comparé au système de Lamennais. Dès qu’on pose en principe la conclusion cherchée, mieux vaut aller droit au but et supprimer des degrés fictifs. En définitive, tous deux veulent que l’on commence par la foi et ne font que reprendre la maxime du moyen âge : fides quœrens intellectum ; seulement il leur manque une chose : c’est le moyen âge même, l’église souveraine et incontestée, la foi admise comme aussi évidente que les premiers principes. Or au XIXe siècle, quand la foi est précisément ce qu’on discute, quand les esprits, ébranlés, divisés, difficiles, demandent des raisons qui la précèdent, contestent l’âge, l’origine, le sens, la valeur de tous les monumens, commencer par la foi, c’est tout simplement supposer ce qui est en question. — Supprimer les motifs rationnels de crédibilité, c’est arriver à l’un de ces deux résultats : ou croire par la volonté, ou croire par intuition. — Dans le premier cas, on intervertit l’ordre de nos facultés. Sans doute la volonté coopère à toutes nos pensées réfléchies, se mêle même à nos premières perceptions, puisque c’est elle qui rend l’âme attentive ; mais elle ne peut guider l’intelligence, qui au contraire a pour fonction principale de la guider. La volonté ne doit vouloir que la vérité en général, et non une fin précise et particulièrement déterminée, car, par cela même qu’elle est libre, elle pourrait vouloir aussi bien le faux que le vrai, la satisfaction des instincts de l’animal que de ceux de l’esprit créé à l’image de Dieu. — Dans le second cas, en cherchant la croyance religieuse dans l’intuition, on risque fort de

  1. Bautain, Philosophie du Christianisme, tome Ier. — Idem, de l’Enseignement de la Philosophie au dix-neuvième siècle, passim.