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chose, et il serait oiseux de discuter une théorie fondée sur des équivoques. Tout consiste à confondre d’abord la raison avec le raisonnement, afin de mettre au compte de la première les folles chicanes et les logomachies qu’un raisonneur subtil peut opposer à tout ce qu’il y a de plus évident, — puis à confondre la foi naturelle, qui nous fait croire sans démonstration aux premiers principes de la pensée, avec la foi théologique, qui nous introduit dans la religion chrétienne, concluant de la nécessité de l’une à la nécessité de l’autre. La raison individuelle, selon Lamennais, ne pouvant rien démontrer qui ne soit contestable par le raisonnement, ne donne la certitude sur rien ; elle conduit droit au pyrrhonisme, c’est-à-dire à la mort intellectuelle. Au contraire, l’homme croit spontanément à l’autorité ; là donc est le principe de vie, qu’il faut admettre de prime abord, et comme fondement de toute certitude individuelle. Et quand on lui demande comment il prouve l’autorité : « Notre réponse, dit-il, est bien simple ; nous ne la prouvons pas. — Mais si vous ne la prouvez pas, comment donc l’établissez-vous ? Sur quel fondement y croyez-vous ? — Nous l’établissons comme fait, et nous croyons à ce fait, comme tous les hommes y croient, comme vous y croyez vous-même, parce qu’il est impossible de n’y pas croire… L’accord des témoignages ou des raisons individuelles, voilà la raison générale, le sens commun, l’autorité… A-t-on raison contre le sens commun ? Se peut-il qu’on n’ait pas raison quand on est d’accord avec le sens commun ? » Combien tout cela est pauvre, il est inutile de le dire, et pourtant c’est de cette argumentation qu’il frappe, comme d’une épée à deux tranchans, d’un côté les protestans et les déistes, pour les pousser au doute universel, de l’autre ses propres frères, la « scolastique dégénérée, » et « ces corps enseignans qui se traînent dans leur vieille ornière, » pour les forcer à changer de méthode. Ce ne sont pas ces derniers qu’il ménage le plus : il leur dénie toute puissance, toute conclusion légitime contre leurs adversaires. « Que direz-vous à l’athée avec votre ancienne méthode ? Lui direz-vous qu’il est fou ou de mauvaise foi ? Une injure n’est pas une réponse, et cette injure serait une sottise. » De même pour le déiste. « Nulle réponse raisonnable, quand il vous dit : Vous m’assurez que c’est ma raison qui doit me conduire à reconnaître la vérité de la religion chrétienne. Or j’ai examiné avec tout le soin dont je suis capable les preuves du christianisme ; je désirerais vivement qu’il fût vrai : la beauté de sa morale, la pureté de son culte, parlent à mon cœur. Cependant j’y rencontre partout des difficultés insurmontables… Conseiller d’entreprendre un nouvel examen, ce n’est pas répondre à cette question, c’est avouer qu’on n’a rien à y répondre… Quand on ne sait plus que répliquer à ces malheureux, on se tire d’affaire en soutenant qu’ils sont de mauvaise foi, ce qui