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qui fit tant de bruit sous le règne de Louis-Philippe. M. le comte Bresson, dont la fin devait être si tragique, était alors ministre de France à Berlin. Le 6 février 1839, adressant à M. de Humboldt un numéro du Journal des Débats qui contenait un article sur ses travaux, M. Bresson lui donnait des nouvelles de Paris, et appréciait la situation de l’Europe. On a beaucoup parlé de la coalition ; il est curieux de voir l’effet qu’elle produisait à distance. Il paraît qu’à Berlin cet incident de la vie parlementaire rappelait déjà les commotions de 1791, et que les amis de M. Guizot avaient l’air de girondins en herbe. Lorsque Humboldt envoie cette page à Varnhagen avec une douzaine de billets signés de noms bien autrement célèbres, il la signale entre toutes comme un document à part.


«… Hélas ! oui (lui écrivait M. Bresson), nous verrons bien des choses, si Dieu nous prête vie ; mais qu’il fasse que nous ne revoyions plus celles qui ont déjà passé sur notre siècle ! La coalition y travaille cependant de toutes ses forces en sapant le pouvoir royal. C’est un accès de démence qui rappelle 1791. Ce sont des girondins en herbe que nous aurions aimés, et ils seraient les premières victimes englouties sous l’édifice qu’ils ébranlent. Est-il donc nécessaire de faire un grand effort de raison pour voir clairement que le roi est le ciment de toutes choses, qu’il nous tient suspendus sur le chaos, et que, lui de moins ou lui de plus, la situation change de fond en comble ? En conscience, le danger vient-il de lui aujourd’hui ? Et un ordre de choses si péniblement acquis, si laborieusement établi, sera-t-il sacrifié à la rancune de quelques hommes ou à quelques vaines théories inapplicables en France, bonnes tout au plus en Angleterre »où elles sont consacrées par les âges, et, ce qui vaut mieux encore, administrées par les seules classes éclairées et supérieures ?

« Voici les adieux, les derniers, de M. de Talleyrand, à Fontainebleau, le 2 juin 1837 : « Adieu, mon cher Bresson ; restez à Berlin aussi longtemps que possible ; vous êtes bien, ne cherchez pas le mieux. Il y aura bien du mouvement dans le monde ; vous êtes jeune, vous le verrez. » Je vous cite ces paroles parce qu’elles rentrent dans l’esprit de votre billet, dont je vous remercie encore, et qui devient pour moi un titre de famille. »


On peut enfin détacher de ce recueil un dernier épisode relatif à nos affaires de France ; ce sont les lettres d’Arago qui nous le fournissent. Personne n’ignore l’affection étroite, l’intime communauté de sentimens et d’études qui unissait le savant prussien et l’astronome français. Humboldt, conservateur facilement alarmé dans ses entretiens avec le comte Bresson, était volontiers avec Arago un homme de mouvement hasardeux. Il venait de lui dédier en 1834 son Examen de l’histoire de la géographie au quinzième siècle, il devait écrire vingt ans plus tard une introduction générale à l’édition complète de ses œuvres, mais ce n’était pas seulement l’enthousiasme de la science qui cimentait leur amitié ; je