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brouillards de la sceptique païenne, quand enfin la philosophie scolastique a été débordée par la science expérimentale. Trouvez-vous mon raisonnement juste ? Si vous le trouvez, je ne suis pas en doute que vous ne partagiez ma crainte, que les progrès scientifiques véritables courent le risque d’être arrêtés par des esprits trop ambitieux qui veulent remonter des effets à la cause, et qui, trouvant la route coupée par les limites infranchissables que Dieu a posées à l’intelligence humaine, ne pouvant avancer, se replient sur eux-mêmes et retournent à la stupidité du paganisme en cherchant la cause dans les effets !

« Le monde, mon cher baron, est fort dangereusement placé. Le corps social est en fermentation ; vous me rendriez un bien grand service si vous pouviez m’apprendre de quelle espèce est cette fermentation, si elle est spiritueuse, acide ou putride. J’ai bien peur que le verdict ne tourne vers la dernière de ces espèces, et ce n’est pas moi qui pourrais vous apprendre que ces produits ne sont guère utiles. »


Sous l’embarras d’un style médiocrement français, on voit percer ici plus d’une idée profonde. Il y avait, dit-on, chez le prince de Metternich l’étoffe d’un grand naturaliste ; il était digne, en tout cas, de converser de plain-pied avec Alexandre de Humboldt. Ses remarques sur l’impulsion féconde que le christianisme a imprimée aux sciences ne sont pas d’un esprit vulgaire. Il avait le plus vif sentiment de la grandeur de la science, et particulièrement de la science de la nature. Je trouve ces mots dans une autre lettre de lui adressée à Humboldt au mois de février 1847 : « L’histoire qu’écrivent les hommes embrasse un point imperceptible dans celle dont la nature possède les matériaux. » N’y a-t-il pas comme un regret sous ces paroles ? Mais revenons à Humboldt et aux lettres relatives à la publication du Cosmos qu’on a recueillies dans cette correspondance posthume. Le prince Albert était aussi un des admirateurs qui envoyaient directement à l’illustre vieillard de cordiales félicitations. « Puisse le ciel, lui disait-il, dont vous décrivez si magnifiquement les mers de lumières tournoyantes et les terrasses étoilées, vous conserver encore bien des années, inaltérablement dispos de corps et d’esprit, pour la patrie, pour le monde et pour le Cosmos lui-même ! » Mais tous les témoignages que Humboldt recevait d’Angleterre n’étaient pas aussi flatteurs. La Revue de Westminster et la Revue trimestrielle (Quarterly Review) traitaient fort sévèrement le Cosmos. Un certain docteur Cross, dans le premier de ces recueils, dit que le style du livre est lâche et des plus médiocres ; le Quarterly Review affirme que l’auteur a une forme prolixe, et n’a jamais su écrire une page of vivid expression. Humboldt, qui rappelle, non sans dépit, ces jugemens de la presse anglaise, se console en pensant que l’Allemagne lui adresse des reproches tout différens. « En Allemagne, ma prose est souvent blâmée comme trop poétique ; dans le Quarterly Review,