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faire un reproche aux seuls évêques de Rome, c’est un manque de mémoire et une pédanterie, quand tous, guelfes et gibelins, dévots et adversaires de la religion, amis de la liberté et amis de la tyrannie, ouvrent la bouche à de telles invocations et crient à la trahison, s’ils ne sont pas exaucés. Ayons, par respect pour nous-mêmes, un peu moins et un peu plus de mémoire, et ne donnons pas à nos adversaires l’exemple que nous leur reprochons de suivre. » Les Italiens se trouveront mieux de pratiquer cet honnête conseil que des raffinemens subtils de la politique qui provoque témérairement des dangers en spéculant sur l’aide de la France pour les déjouer. Certes il est attristant pour la France de voir l’état où se trouve l’Italie un an après la bataille de Solferino. Ce qu’elle a voulu faire pour l’Italie, et les périls auxquels elle est encore exposée à cause de ce pays, lui donnent le droit d’exiger que le Piémont fasse un effort sincère pour contenir la révolution. Il serait de l’intérêt du Piémont et de l’Italie autant que de la France que l’Angleterre voulût, dans cette circonstance, joindre son action morale à la nôtre ; mais le concours de l’Angleterre, qui pourrait être si efficace dans cette œuvre d’ordre et de pacification, nous fait défaut.

Les difficultés de l’Orient, les Italiens impatiens ne doivent pas l’oublier, pourraient susciter des diversions qui seraient funestes à leurs desseins, s’ils osaient attaquer l’Autriche avant d’être assez forts pour soutenir la lutte sans alliés. Les affreux massacres de la Syrie et de Damas ont profondément ému l’opinion de l’Europe, et ne lui ont plus permis de fermer les yeux sur l’état de l’empire ottoman. Le mal qui s’est révélé en Syrie par une horrible crise existe à peu près partout en Turquie, et l’on ne peut savoir si au premier jour il ne se manifestera pas ailleurs par de semblables horreurs. Le mal de la Turquie, c’est l’excessif affaiblissement de l’autorité du sultan sur les provinces dont il est le souverain nominal, et même à Constantinople, au centre de l’empire. De là une anarchie universelle, une décomposition générale ; sans parler des maladies morales de cet empire, cette fois ce sont les premiers ressorts matériels du gouvernement qui font défaut. La Porte, épuisée d’argent, ne paie ni ses fonctionnaires ni ses troupes. Les officiers et les soldats, privés de solde, depuis plusieurs mois, se font brigands Les pachas et les beys, ne touchant pas d’appointemens, imposent des taxes à leur profit, lèvent des contributions arbitraires sur les populations, et méconnaissent les ordres de la Porte. Le sentiment d’une crise imminente est partout et chacun, pour y faire face, prépare à sa façon ses moyens de défense. À Constantinople même, sous les yeux du gouvernement, des comités s’organisent pour cet objet ou sous ce prétexte parmi les Grecs, les Européens et même les Turcs. Dans un tel état de choses, il faut s’en remettre au hasard du maintien d’un ordre quelconque, et regarder comme un miracle de ne point recevoir chaque jour par le télégraphe la nouvelle de quelque trouble, de quelque émeute, de quelque scène de désordre et de sang. Le miracle continuera-t-il longtemps ? On est réduit à le souhaiter, et l’on