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gouvernent la Sicile, et jettent leur réseau sur le royaume de Naples pour donner à la république unitaire les conquêtes du général. On sait les étranges recrues qui vont grossir la révolution militante en Sicile : on va jusqu’à dire que le docteur Bernard, qui fut compromis dans le procès d’Orsini, est du nombre ; on raconte que la casaque rouge aurait supplanté en Sicile et dans la révolution militante la croix blanche de Savoie. Il est possible que ces récits soient exagérés sur quelques points : ils sont vrais quant à la redoutable évolution qu’ils signalent. On a défini récemment par un mot très juste le caractère du mouvement qui s’accomplit depuis l’expédition de Sicile : ce n’est pas le Piémont qui s’annexe des provinces italiennes, c’est l’Italie qui est en train de s’annexer le Piémont. Le mot est d’une vérité cruelle : au lieu d’un gouvernement prêtant à une nation progressivement émancipée la puissance d’une organisation régulière, nous sommes exposés à voir le Piémont lui-même disparaître submergé sous les flots d’une révolution désordonnée et tumultueuse.

Le gouvernement piémontais doit mesurer mieux que nous les conséquences inévitables d’un tel entraînement. Il est plus intéressé que nous à y résister. La première épreuve qu’il est appelé à faire de sa force pour son honneur et pour son salut est dans la question napolitaine. S’il peut arrêter Garibaldi en Sicile, la cause du développement régulier est sauvé ; elle est compromise, si l’on ne veut ou ne peut empêcher que l’irruption des volontaires n’emporte le trône de Naples. Ce serait jouer un jeu désespéré que de tout sacrifier à l’œuvre de l’unité, même la paix prochaine du monde, en se fiant aux responsabilités que la France a contractées envers l’Italie. Nous aurions voulu que ces responsabilités eussent été épargnées à notre pays ; mais, puisque la guerre de 1859 et les annexions récentes nous les ont imposées, nous n’avons certainement point la pensée de les récuser. Nous verrions cependant avec douleur, lors même que la France serait désintéressée dans ces questions, les hommes qui ont pris la mission de conduire l’Italie persévérer dans l’un des vices les plus malheureux de la politique italienne, et compter sur l’appui d’une intervention étrangère pour braver la crise qu’ils appelleraient eux-mêmes sur leur pays. Un des écrivains les plus éloquens et les plus probes, qui est en même temps un des meilleurs patriotes de l’Italie, s’élevait récemment avec fierté et avec tristesse contre cette tendance commune à ses concitoyens, aussi bien aux libéraux qu’aux rétrogrades. M. N. Tommaseo termine, par ces nobles paroles, un curieux article sur l’annexion de la Corse à la France et sur les deux Corses qui jouèrent dans un sens opposé les rôles principaux dans cet événement, le respectable Paoli et Buttafuoco, article publié dans le dernier numéro de l’excellent recueil florentin, l’Archivio Storico d’Italia : « On ne peut songer sans douleur à la destinée des hommes remarquables de l’Italie, à la destinée des peuples italiens, se glorifiant de combattre sous les drapeaux étrangers, ou invoquant avec ostentation l’appui des armées étrangères. En