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les proportions de l’aberration la plus extravagante, si on le tenait pour compatible avec le maintien de l’entente cordiale. « Je suis votre ami, et j’arme en défiance de vous et contre vous. » Les armemens n’étant que trop réels, la seconde proposition biffe la première. Ainsi voilà l’Europe, pour aborder les complications imminentes que tous prévoient, que tous redoutent, revenue à l’état de nature : chacun pour soi, des canons rayés pour tous !

Faisons une rapide reconnaissance des nids à procès qui sont suspendus sur l’Europe.

Il y a d’abord l’Italie. L’Italie, il n’y a que trop de raisons de le craindre, est désormais en proie à cette fatalité irrésistible que nous dénoncions tout à l’heure. Mouvemens de multitudes, emportement des passions, effacement et désarroi des pouvoirs réguliers, expansion et déchaînement des influences irrégulières, voilà en ce moment l’Italie. Tout le monde voit où va ce périlleux désordre. Le terme n’est pas le renversement du roi de Naples, la fin n’est pas l’envahissement des États-Romains. Au bout, il y a une collision avec l’Autriche. La dernière enchère de la popularité sera « la délivrance de la Jérusalem des lagunes, » comme parle Garibaldi. On a beau dire qu’après avoir révolutionné l’Italie, on s’arrêtera devant le Mincio. Quand les téméraires d’aujourd’hui devraient être les circonspects de demain, de la masse exaltée il sortira toujours des sectaires pour engager la partie, pour aller insulter l’Autriche dans ses dernières possessions italiennes, pour compromettre et entraîner la nation tout entière : il est impossible qu’une révolution recule devant l’objet qu’elle s’est donné, et dans lequel elle a placé sa légitimité. Nous qui n’avons aucune objection routinière contre l’unité de l’Italie, nous qui avons regardé la convention de Villafranca comme une trêve, et non comme la paix véritable de la péninsule, nous prendrions notre parti de cette extrémité, si nous pouvions raisonnablement espérer que l’Italie, attaquant l’Autriche dans les circonstances actuelles, sortît victorieuse de la lutte ; mais évidemment tout ce qui précipitera la révolution intérieure en Italie, tout ce qui rapprochera le moment où la révolution se croira obligée d’affronter l’Autriche diminuera les chances de l’Italie. Nous nous rappelons les sages réflexions à l’aide desquelles les patriotes italiens les plus sensés, nous pourrions dire aussi les plus illustres, se consolaient du déboire de Villafranca : « Du moins, disaient-ils, le nouvel arrangement de l’Italie permettra au Piémont et aux duchés réunis de consolider leurs forces par la pratique des institutions libérales, et de se rendre dignes, par une laborieuse préparation, des chances que l’avenir offrira à l’Italie… » Nous en sommes restés, quant à nous, à ces sérieuses idées. Craignant qu’une attaque prochaine et révolutionnaire de l’Autriche ne fût suivie d’un prompt et terrible désastre, nous regardons toute accélération hâtive de l’unification absolue de l’Italie comme un malheur pour ce pays, et tout retard au contraire comme devant tourner à son profit. Mais le mouvement peut-il être