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ter aussitôt. Ce que le roi mort avait honoré fut honni ; les hommes d’état qui l’avaient conseillé tombèrent en disgrâce. Tout parut de nouveau en désarroi sous l’imbécile Charles IV, et l’Espagne, au sortir d’un règne qui renouait les plus belles traditions de son passé, tombait dans un règne qui recommençait les plus mauvais momens de l’époque autrichienne. Une grandeur éphémère suivie d’une longue décadence, une renaissance heureuse suivie d’une éclipse nouvelle, voilà ce que la monarchie absolue avait fait pour l’Espagne. L’histoire, dans son courant permanent et rapide, ne ménage pas les fortes leçons. Ce passé même de l’Espagne n’est-il pas un des plus dramatiques résumés de ces spectacles de fortunes diverses qui ont toujours pour l’esprit une éloquence émouvante ? On y voit le secret de ces décadences terribles et de ces renaissances si brusquement compromises. C’est toujours la même cause agissant d’une façon différente. Sous Charles-Quint, la nation perd son nerf politique ; elle disparaît et se noie dans l’ambition d’un homme ; sous Charles III, la nation est une patiente, quelquefois grandiose, qui retombe vite dans son mal, quand son honnête médecin la quitte. Aux deux époques, c’est l’absence de vie politique qui précipite la chute ou arrête la renaissance. Cela prouve une fois de plus ce qu’il y a de précaire et de fragile même dans le bien que fait un pouvoir absolu, même dans ces restaurations qui semblent suspendues au mince fil de l’existence d’un homme, et qui dépérissent suivant le hasard d’une succession, parce qu’elles n’ont pas la garantie de l’adhésion libre, réfléchie et active d’un peuple formé à la virilité et à la responsabilité par le maniement de ses affaires. Un autre enseignement de l’histoire, c’est que, quand cette idée de domination universelle entre dans une tête puissante, elle peut faire la grandeur d’un homme et la ruine d’un état ; elle peut entraîner cet état, par une désastreuse logique, à l’effacement de son rôle national et à l’abdication de tout droit d’indépendance intérieure. Et enfin, de tous les revers dont l’histoire est remplie, il ressort une vérité lumineuse : c’est qu’il n’y a de politique féconde et juste que celle qui s’inspire de l’intérêt national d’un pays, et qui cherche dans la liberté sa force, son appui, en même temps que le gage de sa durée. La liberté est incompatible avec les rêves de domination universelle ; pour une politique réellement et virilement nationale, elle n’est point une ennemie ; elle est une alliée au contraire, et elle est elle-même intéressée à l’œuvre commune, car elle perdrait sa vertu et son prix, si elle faisait défection aux légitimes aspirations d’un peuple.


CHARLES DE MAZADE.