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qui ne demandait pas mieux que de la servir auprès du roi par un exposé nouveau des griefs du pays. Il rédigea un mémoire ridicule où il se plaignait, au nom du peuple, des impôts établis pour ouvrir des chemins, des mesures adoptées pour éclairer et assainir Madrid. Le roi se borna à renouveler la promesse d’exécuter les conditions qu’il avait acceptées, ajoutant qu’il ne rentrerait à Madrid que quand la paix serait rétablie. C’était assez ; l’effervescence populaire tomba, et les habitans de Madrid revinrent plus dévotement que jamais aux cérémonies de la semaine sainte, qui finit pour eux mieux qu’elle n’avait commencé. L’insurrection de la capitale n’était point isolée ; elle se liait à tout un ensemble de mouvemens qui éclataient à la fois à Saragosse, à Cuença, à Palencia, et même à Barcelone et dans le Guipuzcoa. Cette agitation tomba du même coup. Une mesure presque puérile en avait été le prétexte ; au fond, je l’ai dit, elle était l’expression incohérente de tous les mécontentemens d’ambitions ou d’intérêts ligués dans un effort de résistance à un mouvement de transformation, et c’est ce qui lui donne un sens politique dans ce XVIIIe siècle que M. Ferrer del Rio décrit d’un trait intelligent en ravivant les hommes et les événemens. Le pauvre marquis d’Esquilache, qui se plaignait fort dans son exil d’être abandonné, qui accusait assez plaisamment le peuple de Madrid d’ingratitude, paya pour tous dans cette échauffourée de 1766, ébauche de tant d’autres semblables ; la politique de Charles III resta debout.

Ce ne fut, à vrai dire, qu’une de ces crises où un pouvoir, en paraissant faiblir, se relève et s’affermit. Charles III avait montré d’ailleurs un tact singulier, restant maître de lui-même, calme dans cette petite tempête suscitée par la réforme d’un habit. S’il eût cédé à l’exaspération de la fierté royale blessée, il eût dompté sans doute cette multitude ameutée, qui ne savait trop où elle allait, et qui se serait précipitée furieuse sur l’épée de ses Wallons ; il eût maintenu, comme on dirait aujourd’hui, le principe d’autorité, et il eût laissé dans les masses une longue irritation, qui aurait pu être un embarras de règne. Il céda sans déshonorer la royauté ; il alla attendre la paix à Aranjuez sans trop désavouer ses concessions. Le feu populaire tomba de lui-même, et à travers l’effervescence d’un moment, il vit les vrais agitateurs, les diffamateurs de sa politique ; il les prit la main dans les trames secrètes qui avaient préparé l’échauffourée de Madrid et des provinces, et un an après il frappait le grand coup des jésuites. Le 3 avril 1767, à la même heure, sur tous les points de l’Espagne à la fois, tous les jésuites étaient saisis et embarqués. Charles céda en livrant le marquis d’Esquilache, je veux dire en ne le relevant pas de sa chute, et en même temps il saisit cette occasion pour secouer l’usage qui faisait d’un évêque le président du