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que la reproduction de ce qui se passa un jour de l’année 1766, en plein règne de Charles III. On va voir comment. Au commencement du XVIIIe siècle, un des plus habiles conseillers de Philippe V, Macanaz, avait dit avec une clairvoyance prophétique : « Que le souverain ne permette pas à ses ministres de changer le costume national du peuple pour lui substituer quelque mode étrangère ! Ces dispositions seront reçues du public comme violentes et tendant à en finir avec le costume espagnol, et en irritant les esprits elles pousseront à des désordres difficiles à apaiser. » À quarante-quatre ans de distance, un ordre du roi interdisait l’usage des capes longues et des chapeaux à bords rabattus. Ce fut le prétexte qui fit jaillir la flamme de la sédition de ce foyer de mécontentemens que j’essayais de dépeindre. La lutte s’engagea le 23 mars 1766, le dimanche des Rameaux, entre des hommes de troupe chargés de faire exécuter l’ordre du roi et quelques bravaches du peuple qui affectaient de se promener enfoncés dans leur mante et le chapeau sur les yeux. Le sang coula, et Madrid fut aussitôt enflammé. En peu d’instans, l’émeute se grossit de tous les vagabonds qui parcouraient les rues en criant : Vive le roi ! vive l’Espagne ! meure Esquilache ! Le mot d’ordre était donné. Les insurgés coururent au palais du ministre, qu’ils pillèrent et qu’ils dévastèrent, jetant par les balcons tous les objets précieux. Ils auraient bien brûlé la maison ; mais on les arrêta avec le mot sacramentel : « respect à la propriété ! » C’était d’ailleurs la maison d’un Espagnol. Le soir, après cette singulière victoire, campés sur la place Mayor, ils se contentèrent de brûler l’effigie du ministre, qui avait été averti fort à propos, et qu’ils n’avaient pas trouvé. Ce n’était que le prologue.

La lutte se ranima plus ardente le lendemain. Les insurgés étaient exaltés de leur succès de la veille ; ils ramassèrent tout ce qu’ils purent trouver d’auxiliaires, de femmes et d’enfans, et ils marchèrent sur le palais, où ils furent arrêtés par le feu des gardes wallones, qui les tint à distance. Le tumulte d’ailleurs remplissait Madrid, que la multitude menaçait de livrer aux flammes. Jusque-là, le programme de l’insurrection était assez obscur, lorsque l’intervention d’un frère gilite, religieux à la mine ascétique et sévère, qui haranguait la foule dans les rues, servit à préciser le sens des réclamations populaires. On se mit à rédiger une pétition que le père Yecla, transformé en parlementaire, offrit de porter au roi. Cette pétition, qui invoquait la sainte Trinité et la vierge Marie, demandait impérieusement l’exil du marquis d’Esquilache et de sa famille ; l’exonération de tous les ministres étrangers et leur remplacement par des Espagnols, l’expulsion des gardes wallones, la liberté pour le peuple de se vêtir à sa fantaisie, et l’abaissement du prix des denrées. Ces conditions