Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/725

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s, de vrais hommes d’état, non d’imbéciles favoris, où de sérieuses et profondes réformes s’accomplissent. C’est aussi le moment, dans la politique extérieure, de ce pacte de famille que M. Ferrer del Rio, en bon Espagnol, juge sévèrement, et qui, vu de plus haut, comme l’expression de l’alliance, de la solidarité des nations du midi, n’est pas moins une des grandes pensées du siècle. Le prince était digne de l’œuvre. Charles de Bourbon-Farnèse était né en 1716 du second mariage de son père Philippe V. Lorsque Ferdinand VI, mourant sans enfans, lui laissait la couronne d’Espagne en 1759, il était roi de Naples depuis vingt-cinq ans, après avoir été duc de Parme. Il avait figuré avec honneur dans ces guerres d’Italie si habilement mises à profit par l’entreprenante ambition de sa mère, la reine Elisabeth. Son goût eût été peut-être de rester dans ce beau royaume napolitain, qu’il avait relevé et rajeuni par une intelligente politique, où il vivait aimé, et où son souvenir n’est point encore effacé après un siècle. L’esprit de son gouvernement s’était révélé dans la sérieuse et durable faveur de son ministre le plus intime, le marquis Tanucci, ancien professeur de droit public à Pise, conseiller habile, esprit ouvert à toutes les idées du temps, et qui l’avait singulièrement aidé dans cette œuvre hardie : émanciper le pouvoir civil des influences religieuses et affranchir le pays des lois féodales. Charles III, transporté en Espagne, n’était pas un roi de génie fascinateur, mais il avait une raison droite, l’amour sérieux du bien, de la persévérance dans ses résolutions, et à défaut d’une intelligence hors ligne, un goût naturel pour tous les hommes supérieurs qui pouvaient servir utilement. Il n’avait rien de la morosité de ses prédécesseurs : ses mœurs étaient pures ; tout au plus la malice contemporaine remarquait-elle qu’après la mort de la reine Amélie de Saxe il portait gaiement son veuvage, et que la femme de son ministre Esquilache, qui était vieux et débile, avait un enfant tous les ans. Charles III, en arrivant en Espagne, mit résolument la main à l’œuvre, et s’il ne réussit pas toujours, il ouvrit du moins un long et grand règne, où l’Espagne parut redevenir une nation florissante et éclairée, somme elle avait paru déjà reprendre une position en Europe par la diplomatie et par la guerre.

Ce n’est pas que tout fût facile. Cette politique réformatrice que les premiers Bourbons avaient portée au-delà des Pyrénées, et qui s’épanouissait sous Charles III, avait au contraire à vaincre de sourdes coalitions de haines et de méfiances. Le premier obstacle vint du clergé, qui se sentait menacé dans ses privilèges et dans ses excès de prépondérance. Qu’on se représente en effet un corps tout-puissant d’influence depuis deux cents ans, visant à une indépendance absolue même en matière civile, tenant le roi par les confesseurs,