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les vastes états de l’empereur, — le plus riche il est vrai, le plus puissant, celui devant lequel tous les autres s’éclipsent, mais aussi le plus sacrifié dans sa force, et dans son indépendance à des desseins qui le détachent en quelque sorte de lui-même et le jettent en dehors de toutes les voies de son développement naturel.

Une autre conséquence de cette fausse direction imprimée à la politique nationale de la Péninsule par la prédominance de l’esprit de conquête et d’envahissement, c’est la compression inévitable et à outrance dans la vie intérieure. La monarchie espagnole subissait à cette époque la crise de toutes les monarchies européennes, et cette crise ne contenait rien autre chose que la grande question des monarchies libres et des monarchies absolues. L’Espagne avait en elle-même tous les élémens, toutes les traditions de la liberté, qu’elle n’avait qu’à organiser et à coordonner dans le cadre vivant de son unité nationale. Le souffle général en Europe poussait à l’extension de l’absolutisme royal par le développement des armées permanentes et l’abolition des privilèges populaires. C’est l’esprit de conquête qui trancha le problème au-delà des Pyrénées à l’avènement du premier Charles. Une Espagne libre, exerçant sérieusement le droit de représentation et de vote, était incompatible avec le système de domination universelle dont le fils des Habsbourg portait pour ainsi dire en lui la fatalité. Le premier usage qu’elle eût fait de sa liberté eût été de revendiquer l’indépendance de sa politique ; elle sentit le danger et elle résista, mais sans efficacité, et elle ne fit que hâter la victoire définitive de l’absolutisme. C’est là justement ce qui apparaît dans ce Soulèvement des communautés de Castille que raconte M. Ferrer del Rio avec une ardeur rétrospective qui ressemble à une immortelle rancune du patriotisme contre le vainqueur, et c’est ce qui fait l’intérêt de cet épisode où vient se concentrer et se résoudre un de ces problèmes dont le XVIe siècle n’a pas gardé pour lui seul les émouvantes anxiétés.

Ceux qui ne donnent raison qu’à l’absolutisme dans les affaires humaines n’ont vu naturellement dans l’insurrection castillane du XVIe siècle qu’une turbulence révolutionnaire heureusement domptée par le grand empereur. Ceux des Espagnols de notre temps qui depuis un demi-siècle travaillent à une rénovation toujours fuyante ont vu dans les promoteurs de cette insurrection les victimes et les héros prématurés du libéralisme moderne, et ils ont placé leur image dans toutes les assemblées délibérantes. La vérité est que ce mouvement, qui finit par les divisions, la défaite et les supplices, fut avant tout dans son principe et dans son esprit une résistance, un effort suprême de l’instinct de nationalité se servant, de ce qui restait de liberté au-delà des Pyrénées. La lutte se dessina dès l’avè