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brood) et se nourrir de leur tristesse. Protégés par cette barrière que le malheur élève entre ceux qu’il a touchés et le reste des hommes, ils voient leurs semblables s’écarter d’eux avec une crainte respectueuse. Le drame est tout intérieur et reste pour ainsi dire invisible. Il ne se traduit pas en actes extérieurs, en faits passionnés, en aventures ; il se joue entre trois ou quatre personnages, également tristes, blessés et muets, qui se regardent douloureusement en hochant la tête, poussent des soupirs qui contiennent tout un monde de chagrins, et s’éloignent emportant avec eux le secret qui les ronge. Il en résulte que les romans d’Hawthorne ne donnent jamais l’idée de la vie, et qu’ils ne réveillent que l’idée de la mort et de la destruction. Tel est le singulier spectacle que présente en particulier le roman intitulé la Lettre rouge, livre tout à fait noir, sans précédent même dans la sombre littérature anglaise.

Lorsque le roman commence, le drame passionné est accompli, les sentimens orageux et expansifs ont fait leur œuvre, et se sont retirés laissant désormais la place libre aux sentimens concentrés, qui vivent de solitude et de silence. On assiste à la destruction lente de trois cœurs diversement, mais également blessés. Chacun de ces trois cœurs est en proie à un sentiment exclusif, qui absorbe tous les autres : chez Esther, la femme adultère, condamnée par le tribunal puritain à porter éternellement la lettre rouge infamante qui la désigne à la honte, le souvenir de la faute commise ; chez le jeune ministre, son complice, le remords ; chez le mari outragé, le sentiment de l’outrage et le désir irrésistible de connaître l’offenseur. Le roman se compose de la description de cette triple agonie, et le spectacle est effrayant de vérité et d’horreur. On suit ligne par ligne, — les lignes ici marquent les minutes, les pas du temps vers un terme inévitable et fatal, — l’écroulement lent, continu de ces trois cœurs sous le labeur incessant de la mort, dont il semble qu’on entend résonner la pioche. Une musique de sanglots et de plaintes accompagne et encourage ce travail de la mort, laquelle dans le roman apparaît avec une physionomie particulière digne d’être remarquée. Ici la mort n’a rien d’ironique ni de macabre, elle n’a pas de caprices bouffons, et ne supporterait pas la moindre plaisanterie lugubre. Non, c’est une grave matrone puritaine, sérieuse, appliquée, laborieuse, une mort tout à fait earnest, âpre à la besogne, et qui fait son œuvre en conscience. Elle aussi sait le prix du temps : time is decay, elle ne se donne pas une minute de repos, et ne permet aux cœurs qu’elle détruit ni trêve ni pitié. La vie est cependant représentée dans ce livre, mais sous une forme en harmonie parfaite avec la pensée de l’auteur. Elle est représentée par Pearl, l’enfant de l’adultère, petite créature vive comme le désir défendu qui lui a donné naissance, charmante comme le plaisir partagé, irrésistible