Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/686

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méthode d’extrême égoïsme, ce procédé d’excessive personnalité, ne nuisent en rien cependant à l’impersonnalité des caractères qu’il dessine et des héros qu’il met en scène. En exprimant son individualité, Hawthorne exprime la nature humaine générale. Ses petites nouvelles surtout ont l’air de confessions que notre âme se fait à elle-même : ce sont autant de petits soufflets que l’auteur nous applique sur le visage. Vous jureriez qu’elles se rapportent toutes personnellement à vous, si bien que vous auriez envie de dire à l’auteur : « Comment savez-vous cela, et de qui le tenez-vous ? » À force d’être lui, Hawthorne réussit à être nous. C’est que son observation de lui-même est sincère et sérieuse, c’est que cet égoïsme devient humble à force de véracité, et que la véracité lui donnant contre lui-même la force que nous ne possédons généralement que contre les autres, — c’est-à-dire la force d’être impitoyable, — il nous accuse en s’accusant. Donnez à cet égoïsme un grain de légèreté, de vanité ou d’hypocrisie, et tout aussitôt il nous paraîtra insupportable, et nous nous insurgerons à bon droit contre cette personnalité audacieuse ; mais comme il se présente à nous, désarmé contre lui-même, c’est lui qui nous fait trembler. Telle est la force que possède la véracité, même lorsqu’elle est déplaisante.

Ici se présente une question qui a beaucoup tourmenté certains critiques anglais, et qu’aucun d’eux n’a pu résoudre d’une manière satisfaisante : les écrits d’Hawthorne sont-ils immoraux ? Je conçois qu’on se pose cette question, et cependant qu’on hésite à la résoudre. Il n’y a pas dans les écrits d’Hawthorne le plus petit mot contre les mœurs et contre la vertu, pas même contre ce qu’on peut nommer la vertu officielle, qui a certainement son prix et qui tient utilement sa place dans le gouvernement des sociétés, qui même est nécessaire à l’éducation de l’âme, comme les académies et les têtes d’expression sont nécessaires pour les études du dessin, mais qui en somme est beaucoup moins respectable que la vertu vraie, et a eu plus d’une fois l’honneur d’être le point de mire des plus grands écrivains. Jamais il ne se permet une plaisanterie : pas une gaieté licencieuse à la française, pas un trait cynique à l’anglaise. Toutes ses pages sont scrupuleusement : décentes ; on y chercherait en vain une amorce sensuelle où une étourderie paradoxale, et néanmoins, pendant que nous le lisons, nous nous sentons en proie à une impression équivoque dont nous ne pouvons nous débarrasser. La vérité est que Hawthorne transporte l’âme du lecteur dans une autre atmosphère que celle où elle est habituée à respirer ; il la fait descendre dans ses profondeurs, dans ses souterrains et ses caves, et la force de respirer les exhalaisons et les gaz qui y sont contenus. L’âme est pour ainsi dire semblable à ces animaux élémentaires qui ouvrent leur coquille pour vivre, ou encore mieux aux plantes qui