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recouvrir sous un sourire les plis que le mépris imprime aux lèvres. Hawthorne se présente devant son lecteur comme les anciens puritains se présentaient devant leurs ennemis, et lui explique ce qu’il est dès les premières lignes de ses livres. Mais le trait le plus marqué de la nature puritaine qu’il ait en lui est peut-être l’aisance avec laquelle il manie cette vieille forme littéraire qui s’appelle l’allégorie. L’allégorie est la forme préférée de son génie, et ce fut, si on y regarde bien, la forme favorite de l’imagination puritaine. Cette préférence, qui paraît singulière au premier abord, résultait naturellement des habitudes morales des anciens puritains, des perpétuelles conversations qu’ils entretenaient avec eux-mêmes, des hallucinations intérieures auxquelles les soumettait un incessant examen de conscience, de l’opiniâtreté énergique d’une force de résolution que le monde n’avait jamais connue avant eux, qu’il n’a plus connue depuis eux, et qui ramenait toutes leurs pensées à une préoccupation fixe et inébranlable. Ces âmes exclusives et altières, toutes frémissantes de haine et de justice, rejetaient en dehors d’elles-mêmes les obsessions auxquelles elles étaient en proie avec une vigueur égale au tourment qu’elles ressentaient. Il ne faut pas s’étonner si ces obsessions abstraites devenaient facilement des personnages vivans ; elles s’étaient nourries de la chair et du sang du cœur, elles s’étaient abreuvées des larmes qu’elles avaient fait couler, elles s’étaient échauffées au feu des fièvres qu’elles avaient allumées. Dans sa solitude morale apparente, le puritain vivait entouré par le fait de la plus singulière compagnie qui se puisse imaginer ; le péché, la mort, la justice, la foi, le désespoir, n’étaient pas les personnages abstraits que leur nom présente à votre pensée, mais des gentlemen aimables ou pervers, des princes puissans, des dames artificieuses ou vouées au bien. Telle est la raison de la préférence que les puritains donnèrent à l’allégorie, ou, pour mieux parler, de la nécessité impérieuse, fatale, qui les contraignit à l’employer, et en même temps la raison de la vigueur et de la vie qu’ils surent imprimer à cette vieille forme littéraire. Elle était étiquetée et classée depuis longtemps dans les livres de rhétorique pour les besoins des oisifs et des pédans ; ils la retrouvèrent là où l’on trouve toutes les grandes choses, dans la nature et dans la contemplation du monde, et la recréèrent pour les besoins de leur cœur.

Leur maladif et mélancolique descendant a hérité du même don. Il sait, comme eux, animer les abstractions et surprendre les secrets les plus cachés de la vie intérieure. Tout psychologue est forcément un égoïste ; mais on peut dire en toute vérité que l’égoïsme d’Hawthorne est héroïque et désintéressé. Aucun des mouvemens de son moi ne lui échappe, même dans ces momens où, à l’inverse de Galatée, ce moi désirerait fuir et n’être pas observé auparavant. Cette