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temps encore avant que quelques-unes de ses œuvres soient tombées dans ce gouffre de l’oubli, qui finit par engloutir toute chose. Aucune de ses œuvres n’est marquée du signe de l’immortalité absolue, mais il en est plusieurs qui sont assurées d’une longévité séculaire. Il se trouvera dans chaque génération une cinquantaine de ces véritables connaisseurs en littérature qui savent que l’oubli qui atteint certaines œuvres n’est pas une condamnation, car l’oubli atteint inévitablement, dans un temps plus ou moins long, toutes les œuvres qui ne sont pas l’expression des sentimens familiers à la grande majorité des hommes, et qui ne sont pas assez impersonnelles pour être comprises facilement de tous. Les intelligences sœurs de celles qui aujourd’hui se plaisent à lire l’Anatomie de la mélancolie, les drames du vieux Webster ou le Baron de Fœneste ; les intelligences qui ont pénétré la surface banale et menteuse des sentimens humains, à laquelle s’arrêtent pour leur bonheur la plupart des hommes, et celles-là aussi qui aiment à trouver dans la lecture des vieux livres la preuve qu’il y eut autrefois dans le monde un homme original, exceptionnellement doué, d’une vue perçante que ne pouvaient abuser les illusions du monde, rechercheront et liront avec curiosité les Mosses from an old Manse et le Blithedale Romance. De temps à autre, un critique ingénieux et savant citera son nom dans les revues de l’avenir, ou mettra en lumière quelque passage de ses écrits qui feront tressaillir le lecteur de surprise, voire d’admiration. Peut-être même, deux fois par siècle, l’exhumera-t-on et lui fera-t-on subir les honneurs d’une de ces résurrections si à la mode de notre temps. Ainsi remis en lumière, on le réimprimera dans les collections elzéviriennes d’auteurs rares et curieux, à l’usage des connaisseurs et des esprits blasés pour lesquels les littératures classiques ont perdu une partie de leur saveur. Cela durera ainsi un certain nombre de siècles après lesquels le lugubre Hawthorne sera plus oublié que la doctrine des éons, et rentrera pour toujours dans cet abîme du néant d’où il était sorti pour conquérir une célébrité d’un instant, dire quelques vérités déplaisantes à une humanité distraite et affairée, procurer aux voluptueux littéraires quelques minutes de plaisir morbide, et aux consciences délicates quelques minutes de recueillement amer. Parmi toutes les leçons qu’il a données à la vanité et à l’orgueil humains, Hawthorne a oublié celle-là ; ce n’est pas cependant la moins frappante et la moins instructive de toutes.

Peut-être êtes-vous étonné de me voir décerner l’épithète d’antipathique à cet écrivain pour lequel je professe cependant la plus grande estime. Son amertume et sa misanthropie, me direz-vous, ne peuvent pas être une raison suffisante d’antipathie. L’histoire litté