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si elle a lieu, qu’on verra périr la plus grande partie des monumens de notre civilisation, ou plutôt d’une civilisation qui aura bien dépassé celle dont nous jouissons actuellement. D’ici à deux ou trois mille ans, la race blanche aura conquis par sa supériorité morale et intellectuelle toutes les contrées où règne encore la barbarie ; l’art, triomphant de la nature, aura rendu habitables des régions maintenant désertes ou délaissées ; l’agriculture aura subi d’immenses perfectionnemens et multiplié les substances alimentaires, grâce au concours de la chimie ; la médecine, fondée sur une physiologie plus avancée, sera sortie des ténèbres où elle trébuche depuis des siècles ; des échanges incessans d’idées et de produits auront décuplé les forces économiques et découvert les moyens de suffire à presque tous nos besoins. Faut-il donc qu’arrivé à une telle hauteur, l’édifice élevé par notre génie s’écroule tout à coup, et que le moment de la chute de notre demeure soit précisément celui où elle apparaîtra plus splendide, plus comfortable que jamais ? Hélas ! n’est-ce pas la commune destinée de toutes choses, même des plus belles ? Les progrès accomplis par l’homme trouveront nécessairement des limites dans celles de la planète qu’il habite. L’idée d’un terme à tant de conquêtes se présente de soi-même à l’imagination. Les géologistes qui admettent l’action du feu central sont également conduits à supposer que la terre perdra, par la suite des âges, la chaleur qui y entretient la vie, et qu’elle se glacera comme de vieillesse après avoir duré des myriades d’années. Le soleil à son tour est-il éternel, et notre système planétaire n’a-t-il à redouter aucune perturbation qui en dérange l’admirable harmonie ? Il est difficile de ne pas le croire. Le monde finira, et, avec lui, les œuvres que l’humanité y a déposées ; la logique nous contraint à le supposer, puisque la science comme la tradition nous disent qu’il a eu un commencement. Sa forme actuelle ne saurait être perpétuelle, et qu’on s’adresse à l’eau, au feu, ou à quelque autre agent de destruction, il faut toujours revenir à la pensée de l’incessante transformation des choses accomplie par l’éternelle loi de Dieu. C’est ce que saint Pierre, dans son naïf langage, écrivait de Babylone : « Toute chair est comme l’herbe et toute la gloire de l’homme est comme la fleur de l’herbe ; l’herbe se sèche et la fleur tombe, mais la parole du Seigneur demeure éternellement. »


ALFRED MAURY.