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de son style ; l’auteur de tant de biographies, le peintre de tant de portraits contemporains n’a jamais alarmé une seule fois les consciences les plus ombrageuses. Certes Alexandre de Humboldt pouvait livrer sans crainte à un tel homme les secrets épanchemens de son esprit. Ces confidences étaient déposées en lieu sûr, c’étaient des notes dont l’historien pourrait faire usage, des matériaux que devait transformer l’ingénieux talent du biographe. Humboldt ne les donnait pas à un éditeur pur et simple, mais à un artiste dont la scrupuleuse réserve lui était bien connue. Il avait pensé que Varnhagen, plus jeune de seize années, lui fermerait les yeux. Ce fut le contraire qui arriva ; le 10 octobre 1858, Varnhagen mourut, et Alexandre de Humboldt le suivit quelques mois après. Or Varnhagen avait une nièce, Mlle Ludmija Assing, la compagne de ses vieux jours, à qui il avait légué le soin de publier ses œuvres inédites ; lui confia-t-il aussi la publication des lettres intimes, des entretiens familiers de son ami ? Mlle Ludmila Assing l’affirme, et certainement sa parole doit suffire. Je persiste pourtant à croire que si Mlle Assing avait hérité du talent et des scrupules de son oncle, comme elle a hérité de ses manuscrits, elle eût compris d’une tout autre manière les obligations que ce legs lui imposait.

On ne se méprendra pas sans doute sur notre pensée. Nous ne contestons pas à un homme tel qu’Alexandre de Humboldt le droit de parler haut à son siècle, de dévoiler ses misères, de châtier ses ridicules ; nous regrettons au contraire qu’il ne l’ait pas fait avec une volonté résolue. S’il avait eu les intentions qu’on lui prête, nul doute qu’il n’eût exécuté son projet d’une façon toute différente. Au lieu de ces vaines paroles, au lieu de ces plaisanteries d’un goût médiocre, on aurait eu, j’en suis sûr, le plus vif tableau des choses et des hommes qui avaient passé sous ses yeux. Il pouvait le faire aussi spirituellement et avec plus d’autorité que personne. Un critique de Leipzig, appréciant les émotions très diverses que ce recueil des lettres a causées en Allemagne, prétend que l’impression principale a été celle de la surprise : on ne croyait pas, dit-il, que l’illustre savant pût s’arrêter à des questions de personnes ; on se le représentait uniquement occupé de ses immenses études et absorbé dans la contemplation du cosmos. Si ce critique a raison, les Allemands connaissaient donc bien peu l’ami d’Arago et de Frédéric-Guillaume IV. Ils ne savaient pas avec quelle facilité cet homme, si réservé en présence du public, se transformait dans l’intimité en un causeur intrépide, en un railleur sans pitié. Seulement cette verve n’osait se manifester ; il chuchotait dans l’ombre : que ne parlait-il à voix haute ?

Un des écrivains qui ont pris Alexandre de Humboldt sous leur