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voudront garder pour la terre nouvelle ? Les Leviathan, les Great-Eastern seraient-ils les symptômes du besoin qu’éprouveront nos descendans, et l’homme se verra-t-il contraint, comme une partie de la population de la Chine, de vivre sur des bateaux ? Malheureusement la Bible, qui a raconté toutes les circonstances de l’ivresse de Noé, ne dit rien des faits bien autrement intéressans qui précédèrent et suivirent la terrible inondation. Faut-il croire que ce patriarche et les siens ne furent pas les seuls qui échappèrent au déluge, et que sur des plateaux élevés, sur des cimes inaccessibles, d’autres humains purent trouver leur salut, ainsi que le veut la tradition grecque ? Cuvier n’était pas éloigné de le penser, et M. Le Hon, comme M. Klee, est aussi porté à l’admettre. Certains auteurs prétendent que les nègres et les Papous datent d’avant le déluge, et qu’ils n’ont point été compris dans les victimes du cataclysme. La faune et la flore particulière de l’Australie, de Madagascar et d’une partie du Brésil tiendraient-elles à ce que, demeurés émergés lors du dernier déluge, ces continens ont gardé l’empreinte des créations de l’âge précédent ?

Il est fort difficile de répondre à ces questions. L’existence des races antédiluviennes est loin d’être démontrée. On a découvert, il est vrai, dans les terrains quaternaires de la Picardie, de l’Angleterre, dans les tourbières (skovmose) du Danemark et tout récemment dans les sablières de Grenelle, des silex taillés d’une époque extrêmement reculée. M. Lartet a constaté que des ossemens d’espèces éteintes, engagées dans des dépôts anciens, portaient la trace du travail de l’homme ; on a déterré à l’extrémité du Léman, au cône de La Tinière, des fragmens de poteries grossières, des ossemens concassés d’animaux, qui, à en croire la profondeur et la nature des couches, doivent dater de plus de quatre mille ans. Ces faits toutefois ne reportent point avec certitude notre espèce au-delà du déluge, et, comme nous le disions dans une précédente étude[1], des animaux aujourd’hui éteints ont pu vivre dans les temps historiques. Si les hommes avaient été nombreux sur la terre au moment du dernier cataclysme, leurs ossemens se retrouveraient, comme ceux des mammifères et des reptiles noyés par l’irruption des eaux. Or il est incontestable que ces fossiles humains, les tînt-on pour des témoins authentiques du cataclysme, ne se rencontrent qu’en très petit nombre.

L’Europe était certainement peuplée à l’époque de la migration des races indo-européennes, et, à en juger par la forme des crânes découverts dans les kjokkenmoedding, elle était habitée par une

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1859, p. 118.