Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la même pour tous, dût-elle prêter des armes à nos ennemis. » L’article 21 enlevait à la république une partie de ses ressources financières, en supprimant les monopoles du tabac, de l’eau-de-vie indigène et des liqueurs étrangères, qui constituent, avec les douanes et le timbre, les seuls élémens du revenu public. M. Mora n’hésita point à l’approuver comme un progrès désirable pour le commerce et l’agriculture de son pays, en déclarant qu’il en ferait le sacrifice avec bonheur le jour où la participation de la république aux produits du canal lui permettrait de compter sur un équivalent.

À partir de cette première audience, il ne restait plus que des questions de détail à examiner. Ce fut l’objet des conférences suivantes. Elles me permirent de toucher successivement à tous les intérêts du pays, à la réforme monétaire, à l’exploitation des mines, à l’émigration européenne, aux concessions industrielles, et sur tous ces points je retrouvai le même esprit, facilement accessible aux plus larges solutions. Une dernière difficulté me préoccupait. Dans la première conception de mon voyage, je devais obtenir du président de Costa-Rica qu’il voulût bien déléguer son ministre des affaires étrangères, muni de pouvoirs illimités, pour venir à Rivas signer avec celui du Nicaragua le traité de concession du canal ; mais depuis cette première entrevue avec le président Mora, mon ambition avait grandi. Ce n’était plus le ministre qui me semblait devoir consacrer cette grande réconciliation des deux peuples, cet appel solennel à la bienveillance et aux capitaux de l’Europe ; c’était le président lui-même. MM. Mora et Martinez avaient tout à gagner à se retrouver à Rivas, où ils avaient combattu ensemble, pour y sceller de leur main le gage de leur union future. Un pareil spectacle était de nature à frapper les imaginations ; le contrat à intervenir y puiserait une autorité exceptionnelle, et bien des dissentimens grossis par l’éloignement s’effaceraient dans ce contact immédiat. Je fis valoir de mon mieux ces considérations. C’était chose grave toutefois pour le président Mora que de quitter son gouvernement, son pays, ses affaires, et de se transporter sur un territoire presque ennemi, au risque d’échouer dans ses desseins. Il accepta cependant, et une semaine s’était à peine écoulée depuis mon arrivée à San-José, que le projet de traité était adopté, un préambule rédigé, et que le chef populaire de la jeune république de Costa-Rica consentait, sur ma demande, à venir au Nicaragua pour y signer, de concert avec le général Martinez, la convention internationale de Rivas.


FELIX BELLY.