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rieures qu’elles donnaient depuis trente années. Discréditées par leurs propres excès, elles ne pouvaient attendre ni considération, ni patronage, ni concours financier, tant qu’elles n’auraient, pas fourni des garanties suffisantes d’ordre, de sécurité et de bonne administration. Costa-Rica, il est vrai, comme le Chili, comme plus récemment Guatemala et la république argentine, avait vaincu ces préventions par sa prudente conduite, et commençait à jouir d’un crédit personnel. L’opinion avait même suivi avec admiration la lutte généreuse et héroïque du président Mora contre les bandes de Walker, si heureusement couronnée par la capitulation de Rivas ; mais la situation particulière du Nicaragua n’inspirait aucune confiance. Elle ne laissait présager que de nouvelles rivalités de partis et la renaissance de ces questions de limites qui semblaient devoir éterniser l’état de guerre. N’y avait-il pas eu cependant assez de sang répandu ? Le moment n’était-il pas venu d’en finir avec ce génie étroit et jaloux, plus digne de peuplades sauvages que de nations civilisées ? L’avènement du général Martinez à la présidence du Nicaragua s’offrait à mes yeux comme une occasion providentielle. On pouvait espérer qu’il ferait tous ses efforts pour épargner à son pays de nouveaux déchiremens. Le traité de canal que j’apportais deviendrait alors la charte d’alliance des deux peuples, la solution rationnelle des frontières contestées, le lien de leurs intérêts communs, le premier anneau de la confédération future ; le retentissement universel qui serait acquis à un pareil acte leur attirerait plus sûrement l’attention et le protectorat de l’Europe que vingt ans d’efforts isolés et de manifestations intérieures : c’était le privilège exceptionnel de cette grande question de la jonction des deux Océans, qu’après avoir passionné depuis trois siècles les esprits les plus éminens, elle devait, du jour où elle se présenterait de nouveau, appuyée sur un contrat solennel en harmonie avec les besoins de la civilisation, prendre une place à part dans les préoccupations générales. L’exemple du canal de Suez donnait la mesure de la puissance de séduction attachée aux tentatives de ce genre. Il était en outre permis de compter sur le concours de la presse indépendante de l’Europe entière. Il suffisait, pour l’obtenir et s’assurer ainsi la puissante approbation de l’opinion publique, de donner une large satisfaction à tous les intérêts légitimes ; or c’était là précisément le terrain conciliateur sur lequel je m’étais placé. Je n’avais songé, en rédigeant le traité de concession, qu’à formuler un idéal de justice, de liberté économique et de solidarité internationales. L’assentiment que j’avais reçu du bureau de la société d’économie de Paris, et la lettre de recommandation de ses membres[1] me prouvaient que j’avais atteint le but.

  1. Voici quelques passages de cette lettre, en date du 28 août 1857, qui portait les