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sans fortune, il avait pris dès le premier jour les rênes de ce petit gouvernement domestique, et il avait déclaré à ses frères et sœurs, dont il n’était pas l’aîné, qu’il se chargeait de leur avenir. Il fallait avant tout payer les dettes paternelles, il les paya. Ses sœurs étaient en âge de songer à un établissement, il leur ouvrit les portes des premières familles du pays, et, s’associant ses deux frères, qui reconnaissaient sa supériorité, il commença courageusement, à l’âge de dix-huit ans, l’édifice d’une fortune dont le chiffre s’est élevé à plusieurs millions et dont la source témoigne de son esprit créateur. Le petit territoire habité de Costa-Rica, simple province de la fédération centro-américaine, n’exportait point alors comme aujourd’hui cent mille quintaux de café par an. Ses terres en friche attendaient des bras et une impulsion vigoureuse. M. Mora se fit planteur de caféiers, améliora les anciennes cultures, ouvrit de nouveaux débouchés à l’exportation, doubla en dix ans la production de son pays, et devint ainsi son bienfaiteur avant d’être son chef politique. C’est à la popularité acquise dans ces travaux qu’il dut plus tard son élection à la présidence. Les épreuves cependant ne lui avaient pas été épargnées dans cette première période de son activité. La révolution française de 1848 lui avait fait perdre 1,500,000 francs par la baisse imprévue des cafés à Londres. Il fallait couvrir cet énorme déficit. M. Mora n’hésita point à vendre successivement toutes les plantations qu’il avait créées, et lorsque ce sacrifice fut consommé et que l’honneur fut satisfait, il racheta d’immenses espaces vides, les planta de cannes à sucre, construisit des barrages et des aqueducs, organisa de vastes moulins d’extraction, et recommença ainsi pour une nouvelle industrie ce qu’il avait fait avec tant de succès pour le café, sans que ni les soins du gouvernement ni ceux de son commerce, car tous les Costa-Ricains sont négocians, pussent le détourner un moment de son but. Voilà l’homme qui allait décider de l’opportunité et du mérite de mes desseins. Je ne pouvais désirer une intelligence plus haute, un patriotisme plus résolu, un plus heureux mélange de hardiesse et de fermeté. Les grandes causes sont gagnées quand elles ne dépendent que de pareils arbitres.

Ma première audience était donc fixée au lendemain à une heure. À l’heure dite, je me rendis avec M. de Vars au palais de la présidence, dont la disposition intérieure mérite une courte description. Qu’on imagine une enceinte carrée et pavée de béton, autour de laquelle régnait une double galerie. Au fond de cette cour élégante, moitié arabe, moitié italienne, un escalier en hémicycle de dix marches conduisait à une porte sculptée à deux battans : c’était l’entrée d’honneur de la salle du congrès, qui occupait tout le fond du palais. Sur le seuil même de la cour, deux larges escaliers en bois de forme monumentale montaient de chaque côté à la galerie supé