Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’ailleurs, au point de vue technique comme au point de vue de la spéculation, sur l’autorité du prince Louis Napoléon, auteur, comme on le sait, d’un premier projet de canal interocéanique. Le banquier fut séduit par le caractère exceptionnel d’une telle œuvre. Il signa l’engagement que je lui demandais de constituer une société internationale à un capital déterminé, dans le cas où j’obtiendrais la concession du canal, et il me donna ainsi, du moins je le croyais alors et tout le monde le croyait comme moi, la sécurité financière qui me manquait. Ce n’est pas, il est vrai, sous cette égide que je me suis mis en route pour l’Amérique centrale. Des catastrophes et des déceptions de tout genre me forcèrent, six mois après, de chercher un autre appui réputé plus solide ; mais du jour de cet engagement, qui porte la date du 8 août 1857, la question était résolue dans ma pensée avec toutes ses conséquences. Dès le lendemain, le traité de concession était rédigé tel qu’il a été adopté à Rivas. Quinze jours plus tard, je le soumettais, avec l’opération entière, à l’approbation du bureau de la société d’économie politique, et c’est à la suite de ces adhésions et de ces préparatifs que je me croyais autorisé à écrire une première fois au président Mora, le 7 septembre suivant, pour lui faire connaître des combinaisons qui devaient singulièrement l’intéresser, puisqu’il ne s’agissait de rien moins que du salut, de l’indépendance et de la prospérité de son pays.

Il y a loin, comme on le voit, de cet ensemble de travaux, de mesures, de précautions prises et de concours obtenus, à ce qu’on appelle vulgairement une aventure. Tout avait été longuement étudié, minutieusement préparé et calculé. L’œuvre projetée a réussi par ses moyens propres, par sa force intrinsèque, par sa double concordance avec l’esprit du siècle et avec les besoins immédiats de l’Amérique centrale. J’ai pu me faire illusion sur la stabilité et la puissance réelle de mes auxiliaires. Je les ai pris pour ce qu’ils étaient aux yeux de tous au moment de mon contrat avec eux, et si l’événement m’a infligé au retour de cruels démentis, on ne saurait m’en rendre responsable. Je ne pouvais soupçonner à deux mille lieues de distance les changemens qui devaient affaiblir l’autorité de ma parole.

J’arrivais donc à l’heure décisive avec une situation nette, un but déterminé, un projet de traité où tout avait été prévu[1], et j’allais me trouver en présence de l’homme qui, dans toute l’Amérique peut-être, devait le mieux comprendre la valeur de cette entreprise. C’est cet homme que je voudrais maintenant faire connaître. L’énergique et généreux caractère de M. Mora s’était d’abord révélé dans sa vie privée. Resté orphelin de bonne heure, avec une nombreuse famille,

  1. C’est le témoignage que lui a rendu dans le Journal des Débats, en 1859, M. Michel Chevalier.