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Des causes très différentes ont contribué à l’accroissement de ces scandales. Il y en a de politiques, il y en a de littéraires. Les unes sont d’un ordre général, les autres tiennent aux circonstances du moment. Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui attribuent à telle forme de gouvernement tel défaut de la littérature courante. Il y a peu de dignité, ce semble, à faire dépendre des événemens extérieurs ce qui relève avant tout de notre esprit. Je ne nie pas certes qu’il n’y ait de mauvais jours pour les peuples et que des influences fatales n’y sévissent : je nie que ces influences soient souveraines et qu’on soit excusable d’y succomber. Qui se sent un cœur viril n’admettra jamais de telles excuses. Ne disons donc pas : les circonstances ont tort. Osons dire sincèrement et courageusement : en nous est l’origine du mal, en nous aussi est le remède. Or, parmi les causes purement littéraires qui ont multiplié de nos jours ces puérils racontages, pernicieux amusemens des esprits oisifs, comme disait le bonhomme Gorgibus, il faut bien signaler d’abord les exemples donnés à la littérature inférieure par une certaine aristocratie de la plume. Nous avons perdu le respect, disait il y a longtemps déjà M. Royer-Collard ; mais ceux qui devaient enseigner ce respect ont-ils été toujours fidèles à leur tâche ? Tout en admettant que les plus grands doivent être les plus simples, je crois que M. Ernest Renan, avec son sens moral si haut et si fin, a été parfaitement inspiré quand il a flétri les familiarités de l’écrivain envers le public. Ces confidences sans noblesse, cette façon d’introduire le lecteur chez soi, cette manie de se mettre continuellement en scène, ces démangeaisons qui vous prennent d’étaler à tout propos le moi le plus haïssable, le moi vulgaire, le moi qui ne se respecte pas et s’inquiète peu d’être respecté des autres, tout cela sent l’histrion. À côté du sans-gêne des confidences, il y a les confidences prétentieuses, et après les vanités béates, les vanités féroces. Celui-ci semble dire : regardez-moi vivre, le spectacle en vaut la peine ; celui-là raconte sa vie avant d’avoir vécu et reste en contemplation devant son image menteuse ; le troisième, dans la furie de son orgueil, fait de sa biographie une espèce d’hécatombe : malheur à qui s’est trouvé sur son chemin et ne s’est pas prosterné : Il n’est pas besoin, je pense, de rappeler ici les œuvres fameuses où l’esprit de personnalité avec ses rancunes, ses colères, ses ardeurs de vengeance, s’est donné audacieusement carrière, se résignant parfois à attendre de longues années, afin que ses accusations, sortant de la tombe, produisissent un effet plus cruel.

Ces trois types, l’écrivain qui se met gaiement en scène et qui tutoie son lecteur, l’écrivain qui se peint et qui s’admire, l’écrivain qui confie à des manifestes posthumes la glorification de sa vie et l’accomplissement