Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/626

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

départementales. On me montra tout à coup à ma droite une belle propriété plantée de caféiers, précédée d’une maison carrée, à un étage, dont la galerie supérieure, peinte en vert, faisait saillie autour de ses murs blancs. C’était là que demeurait le plus riche citoyenne Costa-Rica, M, Vicente Aguilar, ancien vice-président, à qui la voix publique attribuait dix millions de fortune territoriale. Le bruit des chevaux l’avait attiré sur le seuil ; je crus devoir lui faire une visite. Il nous reçut dans un grand salon carré sur lequel s’ouvraient toutes les pièces de l’appartement supérieur. Je vis un homme très simple, très modeste, presque timide, qui paraissait confus de mon attention, et qui épuisa les formules de remerciemens. L’ameublement du salon ne se composait que d’une table ronde placée au milieu et de fauteuils en rotin renversés à l’américaine ; mais les portes et les fenêtres, largement ouvertes sur la galerie, laissaient circuler librement l’air balsamique de la plantation. Je me levai au bout de quelques minutes pour prendre congé de mon hôte. Je n’eus plus dès lors occasion de le revoir. Seulement, lorsqu’en parcourant le pays dans tous les sens, j’ai demandé à qui appartenaient les riches cultures et les belles vallées qui réjouissaient mes yeux, j’ai souvent entendu cette réponse uniforme qu’on dirait empruntée à un conte de Perrault : — C’est à don Vicente Aguilar.

Au moment où j’allais franchir la barrière de son enclos, un cavalier couvert d’un poncho péruvien à raies blanches et d’un large chapeau de paille se présenta pour entrer. Je le reconnus tout de suite, car je l’attendais. M. Léonce de Vars était le seul Français, ou plutôt le seul habitant de Costa-Rica que je connusse, pour l’avoir vu deux ou trois fois à Paris. Je le savais riche, parfaitement hospitalier, et j’avais beaucoup espéré de son concours pour le succès de mes démarches. C’était un précieux auxiliaire qu’un homme de cette valeur, considéré, indépendant, recherché par les deux partis qui divisent la petite république, initié par un séjour de trente années à toutes les affaires du pays, et comprenant de plus, en sa qualité de Français, ce qu’il ne fallait pas demander à un pur Centro-Américain, les exigences et les rouages compliqués de notre civilisation. Sa rencontre, à la veille d’une première négociation, inaugurait bien ma campagne extra-diplomatique. Il connaissait mes projets depuis Paris, et il les avait vivement encouragés. Il venait m’offrir ses services, se mettre à ma disposition, et commença par m’emmener à son hacienda, las Animas, où sa famille était réunie.

Nous courions alors, par un soleil assez chaud, sur un chemin sablonneux que bordaient de chaque côté de jolies haciendas ou de simples maisons blanches pleines d’enfans et de femmes. Les enfans étaient presque nus, les femmes n’avaient d’autres vêtemens qu’une chemisette largement échancrée et une jupe blanche. De petites