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des habitations d’abord clair-semées, plus nombreuses ensuite et plus riches à mesure que nous approchions de la première ville, Alajuela. Je n’avais aucune notion de ce que pouvait être une ville du Centre-Amérique ; mais les haciendas et les maisons de cultivateurs que j’avais rencontrées m’avaient paru plus comfortables à l’intérieur que ne le sont les chaumières de nos paysans, et je m’attendais à des constructions d’une certaine apparence, sinon au luxe de nos cités d’Europe. Je ne fus tiré de mon erreur qu’en me trouvant sans le savoir au milieu même d’Alajuela. Ses rues, tirées au cordeau, ressemblaient à celles d’un camp de baraques blanchies à la chaux ; seulement les habitations costa-ricaines, formées d’un simple rez-de-chaussée, étaient bâties en terre et non en bois, avec des fenêtres sans vitres et de larges portes exhaussées d’un perron. Un voyageur du XVIIe siècle, Thomas Gage, raconte qu’il éprouva la même déception en entrant pour la première fois dans Guatemala, qui était alors la capitale de la vice-royauté de ce nom, et qui est encore la ville la plus importante de l’Amérique centrale. Une compensation bien inattendue me fit oublier ce petit mécompte. Toutes les maisons d’Alajuela étaient pavoisées de drapeaux costa-ricains mêlés à quelques drapeaux français confectionnés à la hâte, et l’air de fête de la population, groupée sur le seuil de ses demeures, souvent garnies de feuillages, ne me laissait aucun doute sur l’accueil qui m’était réservé.

Je mis pied à terre devant l’unique hôtel d’Alajuela, et j’entrai avec les deux officiers dans le petit salon de l’établissement. Presque aussitôt on annonça le gouverneur, puis le conseil de la ville, le général qui la commandait, enfin toutes les autorités civiles et militaires. Le gouverneur, en habit noir, était un homme de cinquante ans qu’on eût pris pour le maire d’un de nos chefs-lieux d’arrondissement. Il m’exprima en termes touchans toute la sympathie que j’avais inspirée à ses compatriotes par la défense que j’avais prise, comme publiciste, de leurs intérêts. Dans cette entrevue pleine d’effusion, je remarquai pour la première fois ce mélange de modestie, de dignité et de bonté qui fait le fond du caractère des Costa-Ricains. On invoquait à tout propos la France comme la grande réparatrice des iniquités de la force, comme l’étoile du matin des peuples opprimés, comme la sœur aînée des races latines, comme le palladium du droit des nationalités dans les deux mondes. On me priait, on me suppliait, en me serrant les deux mains, de dire à mon pays, à l’Europe, si éloignée et si indifférente, combien l’Amérique centrale avait besoin de son intervention. Le colonel Barillier, qui voulait bien me servir d’interprète, en était ému jusqu’aux larmes. Je n’avais pas, quant à moi, à me défendre du crédit qu’on me supposait ; on ne discute pas avec l’attendrissement. La cause était juste, je