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deux personnes. C’était notre première rencontre autre que celle du courrier. Le chef de cette caravane m’annonça qu’il était chargé pour moi d’une lettre du président Mora, qui m’offrait deux mules pour les besoins de mon voyage. On comprend que je n’ouvris pas sans quelque émotion la dépêche où j’allais trouver un premier indice des dispositions du gouvernement costa-ricain relativement aux projets qui m’amenaient dans l’Amérique centrale. Le président de Costa-Rica y prenait dès le premier mot un ton de courtoisie affectueuse auquel la langue espagnole se prête à ravir. Il se félicitait de recevoir un publiciste qui avait défendu l’indépendance de son pays, et m’assurait de l’empressement qu’il mettrait à seconder mes projets. Ces projets, don Juan Rafaël Mora les connaissait depuis plus de six mois par une communication que je lui en avais faite à la date du 15 septembre 1857, et ma dernière lettre de San-Juan-del-Norte, à laquelle la sienne répondait, les lui avait explicitement rappelés. Notre position réciproque était donc déterminée avec une entière franchise. Le président me traitait en ami, comme je l’étais en effet, de sa personne et de son pays. Il comblait mes espérances par la promesse d’un concours sur lequel j’avais compté, et justifiait toute la stratégie de mon itinéraire en me donnant son patronage pour point d’appui auprès du gouvernement du Nicaragua., Cette preuve d’estime du chef de la république eut pour effet immédiat d’inspirer à Ramon une haute idée de mon importance. Il n’en devint pas plus obséquieux, car la nature costa-ricaine est essentiellement libre et noble ; mais il tint désormais plus de compte de mon irrésistible besoin d’aller vite, et je dus à ses nouvelles dispositions de coucher ce soir-là au dernier relais de la montée, à deux lieues seulement du point culminant, au lieu de m’arrêter au rancho de la Paz, comme l’avait décidé d’abord sans me consulter mon trop prudent conducteur.

J’avais passé les deux nuits précédentes sur le lit national du Centre-Amérique, ce lit dont se sert même l’ancien président du Nicaragua, le général Martinez : une peau de bœuf tendue sur un cadre ; je dus passer celle-ci sur un tronc d’arbre à peine équarri, triste couchette pour un voyageur fatigué. L’habitation était en rapport avec le mobilier. La forêt entrait de tous côtés dans le rancho comme s’il n’avait pas existé, et à travers la toiture dépouillée de palmes je voyais courir les blanches vapeurs condensées par ces hautes cimes. Je fus cependant assez satisfait d’abord de mon nouveau gîte. Mes deux guides et leurs muchachos luttaient d’ailleurs de complaisance et d’attention pour changer l’ajoupa en palais. On avait déchargé les mules et allumé un grand feu entre quatre pierres au centre même de l’édifice. Il faisait le temps le plus frais que j’eusse encore remarqué sous ces latitudes, 17 degrés Réaumur, descendus