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même d’un arbre à l’autre en me retenant aux branches et aux lianes, ou d’en appeler à la complaisance de Ramon pour me tirer sans meurtrissure de ces rudes défilés.

La première fois qu’après une ascension laborieuse je rencontrai dans l’angle d’un ravin les eaux mugissantes d’un torrent qui se cachait sous une voûte impénétrable de végétation, je demandai à mon guide quel était le nom de ce fleuve mystérieux. — El rio Sarapiqui, me répondit-il. Deux heures après, nouvelle rivière ou plutôt nouvelle cataracte encaissée dans des berges à pic et tellement périlleuse à franchir qu’on avait dû la pourvoir d’un large pont en bois pour les bêtes et pour les gens. — Et celui-ci, comment l’appelez-vous ? — El rio Sarapiqui. Or nous traversâmes ainsi cinq ou six affluens, toujours décorés du même nom, et qui doivent être en effet les sources rayonnantes de la belle et pittoresque rivière qui coule au Muelle. Malheureusement presque partout les ponts s’étaient écroulés, et ce n’était pas sans hésitation qu’au fracas du fleuve naissant, dont l’écume blanchissait de chute en chute, ma mule se hasardait à poser le pied sur une roche humide ou dans la vase profonde. Un seul faux pas, et nous roulions dans l’abîme, comme cela était arrivé à d’autres voyageurs. Mon guide m’avoua plus tard qu’il avait eu peur un moment. J’en fus quitte pour un bain de pieds à cheval que la hauteur de l’eau rendait inévitable.

À mesure que j’avançais dans cette pérégrination pleine de surprises, j’étais amplement dédommagé de la fatigue par des perspectives de plus en plus grandioses. Le chemin, d’abord sentier tracé par le hasard, avait fini par se dérouler régulièrement sur le flanc des collines qui montaient comme autant d’échelons jusqu’aux plateaux supérieurs. J’avais alors d’un côté la montagne qui nous couvrait de ses coupoles étagées, de l’autre un précipice presque vertical dont les profondeurs se perdaient dans l’éternelle nuit de la forêt. Entre ces deux rives également ombreuses, le regard ne pouvait guère pénétrer à plus de cinquante pas ; mais quand par hasard le rideau s’écartait et que la route s’ouvrait sur l’amphithéâtre de dix lieues d’envergure dont nous venions de parcourir les méandres, les mamelons superposés disparaissaient, les végétaux géans qui les tapissaient n’étaient plus visibles ; il n’y avait à nos pieds qu’un immense manteau de velours vert à grands plis, étalé jusqu’aux limites de l’horizon avec une opulence de contours et une intensité de couleur qui seuls accusaient les puissans reliefs de la vaste enceinte sous la lumière irisée et mouvante dont ils étaient baignés.

J’étais arrivé ainsi vers la fin du troisième jour jusqu’à un délicieux ruisseau nommé la Paz, qui doit être le premier affluent du Sarapiqui en pleine montagne, lorsqu’au détour du ravin mon guide s’arrêta devant une autre caravane composée de trois mules et de