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ce qui est bien pire, mêlées avec des hommes, est un état social mal organisé, qui, pour ainsi dire, ne permet pas aux femmes d’être des femmes, et ne peut subsister longtemps sans entraîner à sa suite les plus grands désordres. On voudrait pouvoir dire que le retour de la mère de famille dans son ménage change la condition de tout ce qui l’entoure, qu’elle conserve chez elle les habitudes laborieuses acquises dans la manufacture, qu’elle soigne ses enfans avec vigilance, les tient propres, répare leurs habits, qu’elle met de l’ordre dans la chambre commune, qu’elle parvient à force d’activité et d’économie à tirer bon parti de ses pauvres ressources, et que le mari, trouvant plus de soins et de comfort dans son intérieur, y prend aussi plus de plaisir, et abandonne le cabaret pour sa propre maison. Une femme énergique et dévouée peut faire en ce genre de véritables miracles, et ceux qui douteraient de l’influence exercée sur la destinée de chacun de nous par notre caractère n’ont qu’à se donner le spectacle de deux familles ayant des ressources égales, des besoins égaux, et dont l’une vit dans une sorte d’aisance, grâce à l’habileté infatigable de la ménagère, tandis que l’autre reste plongée dans l’indigence. Il est douloureux de constater que la plupart des femmes qui prennent la résolution de se consacrer uniquement à leur famille manquent de toutes les qualités nécessaires à ce nouveau rôle. Ouvrières laborieuses à l’atelier, où le règlement les soutenait, elles se perdent dans le détail de leurs occupations domestiques. Elles savent à peine allumer du feu, et n’ont pas la moindre idée de la cuisine. Elles n’ont jamais tenu une aiguille, même dans leur plus tendre enfance ; on leur a appris à dévider dès qu’elles ont pu tenir un peloton dans leurs doigts, ensuite à surveiller une machine de carderie ; hors de là, elles ne savent rien. Elles laissent leurs enfans errer dans les courettes, parce qu’elles se souviennent d’avoir été elles-mêmes abandonnées à la grâce de Dieu. Ils travailleront assez quand ils seront en fabrique, il faut leur laisser du bon temps maintenant. Les pauvres femmes ne savent pas combien un peu d’éducation changerait l’avenir de leurs fils et de leurs filles, ou, si elles le savent, l’entreprise leur parait si lourde qu’elles n’ont pas le courage de la tenter. Elles ne songent qu’au pain de la journée et à la crainte d’être battues. Le jour de paie, elles errent aux abords de la manufacture, suivent de loin leurs maris, qui se rendent aux cabarets, restent à la porte, et calculent tristement que, si l’orgie se prolonge, il ne restera rien pour les besoins de la famille. Leur demeure est à peine plus propre que par le passé ; l’insigne malpropreté est un ennemi avec lequel elles ont vécu depuis leur enfance, et qu’elles désespèrent de vaincre. Elles ont toutes appris quelque métier, mais des métiers qui rapportent un sou pour une heure de travail. Les