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sont ni blanchies ni crépies. Ce local est habité par quatre personnes, le père, la mère et deux enfans de sexe différens, l’un de dix ans, l’autre de dix-sept. Il coûte 1 franc par semaine. Dans la cour d’Halluin, au fort Frasé, on remarque une maison plus haute que les autres, dont le rez-de-chaussée est fort bizarre. La maison est plus longue que large ; elle n’a que deux fenêtres, l’une devant, l’autre derrière ; cependant elle est divisée en trois logemens dans le sens de la profondeur. Le logement du milieu serait donc complètement obscur, s’il était séparé des deux autres par des cloisons opaques ; mais il n’est fermé que par deux vitrages qui remplissent absolument tout l’espace, et lui donnent l’aspect d’une cage de verre. Il en résulte que le ménage placé dans ce logement n’a pas d’air, et qu’aucun des ménages n’a de chez-soi, car il est impossible à chacune des trois familles de dérober un seul de ses mouvemens aux deux autres. Le propriétaire est un maître vitrier, ce qui explique ce mode de fermeture, assez peu économique d’ailleurs. Un de ces logemens est loué 5 francs par mois ; la femme qui l’habite a cinq enfans en bas âge. On a pratiqué dans un angle de la chambre une espèce de cage ou de soupente à laquelle on parvient par un petit escalier tournant aussi raide qu’une échelle ; Cette cage peut tenir un lit ; la locataire l’a sous-louée, pour 75 centimes par semaine, à une piqûrière abandonnée par son amant avec un enfant de quelques semaines sur les bras. Outre le lit, la soupente contient une chaise sur laquelle on met en hiver une terrine remplie de charbon allumé : un trou pratiqué dans le plafond, immédiatement au-dessus, livre passage à la vapeur. L’enfant est placé sur le lit, où il reste seul tout le jour ; la mère vient l’allaiter à midi. Il n’y a et il ne peut y avoir aucun autre meuble dans ce petit réduit, où l’on n’entre qu’en rampant. Une robe et un bonnet, avec un petit paquet pouvant contenir au plus une chemise, sont placés sur une tablette ; au-dessous est un vieux parapluie de soie, objet de grand luxe, débris d’une opulence perdue. Presque tous les habitans de cette cour sont sujets à la fièvre ; s’il survenait une épidémie, toute cette population serait emportée. Il n’y a pas deux années cependant que la cour d’Halluin a été bâtie. On construit, en ce moment plusieurs rangées, de maisons d’ouvriers dans la ville même de Roubaix, près du canal. Ces maisons ne sont ni drainées, ni suffisamment espacées ; le plan en est défectueux sous tous les rapports ; elles n’ont point de cour séparée, aucune dépendance ; les pièces sont trop petites ; l’escalier n’ayant pas de cage, les habitans du rez-de-chaussée sont forcés de livrer passage à ceux de l’étage supérieur. On trouve à Roubaix, comme partout, des hommes de cœur à la tête de l’industrie ; il est fâcheux qu’ils n’aient pas compris l’importance capitale des logemens d’ouvriers,