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reste consterné du nombre d’enfans estropiés ou contrefaits. Les conseils de recrutement n’arrivent point à parfaire le contingent ; parmi les jeunes hommes qui attendent leur tour pour tirer au sort, un grand nombre ne possède pas la taille réglementaire, quoiqu’on l’ait si fort abaissée ; on leur donnerait quatorze ans. La faim, le manque de soins pendant la première enfance, un travail trop hâtif, les retiennent toute leur vie dans un état de malaise et de faiblesse. Toutes ces hideuses conséquences viennent de la misère ; mais la misère, quelle en est la cause ? Est-ce rabaissement des salaires ? est-ce le chômage ? est-ce une épidémie ? Tous ces fléaux ne sont rien devant le fléau de la débauche. : voilà le minotaure qui tue les mauvais ouvriers et les poursuit jusqu’à la dernière génération, qui les condamne au mépris des ouvriers honnêtes, au besoin, à l’humiliation, au crime, qui transforme des femmes laborieuses et dévouées en véritables martyres et fait de la maternité un supplice.

On lutte partout contre ces habitudes funestes. Tantôt on paie par quinzaine pour diminuer au moins les occasions de chute : entreprise difficile à réaliser, parce que les ouvriers ne s’y prêtent pas ; ils sont pressés de jouir et s’offrent de préférence dans les fabriques qui ne les font pas trop attendre. Un autre inconvénient de différer la paie, c’est que le travail de la première semaine s’en ressent ; l’ouvrier ne veut pas s’exténuer pour un salaire lointain ; l’énergie ne se réveille qu’au dernier moment, pour rattraper le temps perdu. M. Motte-Bossut, à Roubaix, et quelques autres fabricans ont imaginé de payer leurs ouvriers le mercredi pour que la possession d’une certaine somme ne coïncide point avec le repos légitime du dimanche. D’autres ne font la paie que le lundi, et l’ouvrier absent est obligé d’attendre jusqu’à la paie suivante. Quelquefois aussi on a recours à des amendes ; très souvent, après deux absences du lundi non motivées, l’exclusion de l’atelier est prononcée. Ce sont des mesures excellentes, mais qui ne peuvent avoir un peu d’efficacité qu’à la condition d’être générales. Elles font quelque bien, elles retiennent quelques âmes chancelantes ; mais peut-on en attendre une guérison complète ? On ne refait pas les âmes avec un article de règlement. Tous ceux qui ont essayé de lutter contre le démon de l’ivrognerie savent avec quelle violence il s’empare des malheureux qui se donnent à lui. Le vice en peu de temps devient passion, et la passion frénésie. Le corps ne peut plus se passer de ce poison, l’esprit s’éteint et s’abrutit ; s’il reste assez de vie intellectuelle pour qu’il y ait quelque place au remords, on l’étouffe dans l’ivresse.

Quelques administrations locales ont tourné contre ce grand ennemi du travail et des mœurs toutes les armes que la loi met entre leurs mains. Elles ont fermé les établissement les plus mal famés,