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livrent à une besogne essentiellement féminine, qui n’exige aucune dépense de force, et dont l’analogie avec les travaux connus sous le nom d’ouvrages de femme est évidente. Les soigneuses de carderie mènent une vie tranquille à côté des métiers dont elles ont la surveillance, et si les tisseuses ont à déployer un peu plus d’énergie, elles gagnent en revanche de très forts salaires.

Qu’on suppose à présent une fabrique construite tout exprès pour cette destination, comme il en existe un bon nombre dans la vallée de Rouen, aux environs de Lille et de Roubaix, à Dornach et dans tous les grands centres industriels. On a devant soi un vaste bâtiment de briques rouges à trois étages, percé d’immenses fenêtres qui s’allument le soir et éclairent au loin la campagne, tandis que le sifflement de la vapeur et le bruit assourdissant des métiers contrastent avec le silence solennel de la nuit. La cheminée de l’usine s’élance dans l’air à quelques mètres de la fabrique, comme une colonne de basalte couronnée de flamme et de fumée. Tout auprès, un ruisseau roule impétueusement ses flots troublés ; au loin, des arbres, des prairies, un tranquille et frais paysage. Si l’on pénètre dans les ateliers, l’élégance des machines, les vastes espaces qui les séparent, l’air et la lumière versés à flots et de tous côtés à la fois, une propreté recherchée, rassurent l’esprit sur le sort des travailleuses, et donnent plutôt l’idée d’une activité féconde et bien réglée que d’un travail fatigant et dangereux. Les salles sont drainées, ventilées, chauffées par les appareils les plus nouveaux et les plus coûteux ; des stores s’opposent au rayonnement direct du soleil. Chaque ouvrière a son armoire fermant à clé, où elle range le matin ses vêtemens et le panier qui contient son repas. En arrivant à l’atelier, elle échange sa robe contre un sarrau à manches qui l’enveloppe tout entière, et la préserve à la fois de la malpropreté et des accidens. Des robinets sont disposés de distance en distance et versent de l’eau à volonté. A, l’heure du repas, elle peut se promener dans une cour ombragée d’arbres ou trouver un abri commode sous un vaste hangar. Une petite pharmacie est rangée sur des tablettes à côté du bureau du contre-maître. Un peu plus loin s’ouvre la salle d’école pour les enfans de la fabrique. Tout cet ensemble présente une beauté véritable, parce que tout y est utile et bien ordonné, et qu’on y respecte partout la dignité du travailleur. Ceux qui ont visité les magnifiques ateliers de Wesserling, qui sont entrés à Reims dans les fabriques de M. Saintis, de M. Fossin, de M. Villeminot, de M. Gilbert, ou dans la petite, mais admirable filature de M. La Chapelle, aux Capucins, qui ont vu à Sedan, au Dijonval, la