Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

signaler dans l’industrie des matières textiles quelques grands ateliers de femmes. Les étoffes les mieux faites contiennent une certaine quantité de nœuds ; les draps les plus soignés ont été entamés par places en passant sous la machine tondeuse. Il faut arracher les nœuds avec de petites pinces, réparer les coupures au moyen de reprises ; cette besogne occupe deux corps d’état différens. Les premières ouvrières s’appellent énoueuses, épinceteuses, nopeuses, suivant les pays ; les secondes, qui remplissent une tâche difficile et importante, s’appellent des rentrayeuses. Quelques patrons ont chez eux un atelier de nopeuses ; on en rencontre toujours un dans les fabriques de drap ; ailleurs on confie l’étoffe à des femmes qui l’emportent chez elles pour l’énouer ou l’épinceter. Cette opération fatigue gravement la vue, et peut même passer pour dangereuse. Dans les indiennages, l’impression de seconde main est faite par des femmes ; comme il s’agit surtout d’appliquer la planche sur l’étoffe avec précision, pour que la seconde impression se raccorde bien avec la première, elles sont pour le moins aussi propres que les hommes à ce genre de travail. On les emploie aussi en grand nombre dans les ateliers d’apprêteurs, par exemple pour les articles de Saint-Quentin. L’industrie des apprêts consiste à donner aux étoffes certaines apparences au moyen d’un lavage fait à la presse avec divers liquides. Les ouvrières qui font ce qu’on appelle l’apprêt écossais passent douze heures par jour dans des ateliers chauffés à 40 degrés centigrades. Elles supportent assez bien cette température excessive, mais le passage du chaud au froid, lorsqu’elles sortent de l’atelier sans se couvrir suffisamment, engendre un grand nombre de fluxions de poitrine. Tous les fabricans s’accordent à dire qu’on a la plus grande peine du monde à leur faire prendre les précautions les plus indispensables. Dans toutes les professions, les ouvriers dédaignent les soins hygiéniques ; il faut presque toujours penser pour eux à leur santé et quelquefois les contraindre à en prendre soin. On a beau leur répéter qu’en perdant leur vigueur ils perdent leur pain ; ils ne le savent que trop, et pourtant ils ne consentent jamais à prévoir la maladie ni la vieillesse.

De toutes ces professions, il en est infiniment peu qui soient insalubres par elles-mêmes. Les éplucheuses de coton, les soigneuses de carderie dans les filatures de chanvre, quelques catégories d’apprêteuses sont placées assez fréquemment dans des conditions délétères ; cela ne fait que trois corps d’état sur plus de vingt, et ces corps d’état n’emploient qu’un personnel restreint[1]. Les dévideuses et bobineuses, les nopeuses, les empaqueteuses, les rentrayeuses se

  1. Nous ne parlons ici que de l'industrie des matières textiles. En dehors de cette industrie, il est d'autres professions qui exercent une influence déplorable sur la santé des femmes. A Baccarat, les tailleuses de cristal se tiennent toute la journée penchées sur leur roue ont constamment les mains dans l’eau ; mais en dépit de ces ex-ceptions, heureusement très rares, l’immense majorité des ouvrières n’a pas lieu de e plaindre des conditions hygiéniques que la manufacture lui impose.