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tiers à filer, semble un palais quand on le compare aux deux autres. Chaque métier comprend deux parties, l’une composée de cylindres tournant avec des vitesses inégales, entre lesquels le coton est laminé ou étiré une dernière fois, l’autre d’un chariot qui parcourt incessamment, par un mouvement de va-et-vient, un espace d’environ 1 mètre 20 centimètres, emportant et ramenant avec lui les broches sur lesquelles s’enroulent les fils, et qui tournent avec rapidité pour achever la torsion. Quand le chariot s’écarte des cylindres, il fournit le champ nécessaire à l’étirage du fil ; quand il s’en rapproche, il renvide le fil, c’est-à-dire que, le mouvement de rotation ayant lieu en sens inverse pendant ce retour, le fil déjà fait s’enroule à la partie inférieure de la broche. Le chariot est plus ou moins long suivant le nombre des broches, qui varie de cinq cents à douze cents ; mais l’espace nécessaire au développement du chariot, même le plus petit, et à son mouvement de va-et-vient est considérable, de sorte qu’il y a toujours un petit nombre d’ouvriers dans une vaste pièce.

Il y a peu d’années encore, quand le chariot avait glissé sur ses rails, le fileur le ramenait vers la partie immobile du métier en le poussant avec le genou, opération fatigante et qui finissait presque infailliblement par amener une tuméfaction du genou et une déviation de la taille. Aujourd’hui on emploie presque partout des renvideurs mécaniques [mull-jenny selfacting) qui avancent et reculent tout seuls. Le fileur n’est plus qu’un surveillant, et il peut aisément conduire deux métiers, c’est-à-dire quelquefois plus de deux mille broches. Ainsi transformé, ce travail a cessé d’être pénible ; mais comme il exige de la présence d’esprit et beaucoup d’activité, on continue de le confier à des hommes. Les fileurs ont un travail aisé, une bonne paie, une indépendance relative ; ils sont en quelque sorte les aristocrates de la filature. Chacun d’eux a près de lui, sous sa direction immédiate, un ou deux rattacheurs, qu’il paie ordinairement lui-même, mais à des prix fixés par le patron. Ce sont des enfans ou de très jeunes gens dont la besogne consiste à rattacher les fils qui se cassent pendant l’étirage. À Roubaix et dans quelques autres centres industriels de plus en plus rares, l’office de rattacheur est rempli par de très jeunes filles, ce qui constitue la pire espèce d’atelier mixte, parce que le fileur a nécessairement la direction de l’ouvrage et presque toujours le droit de renvoi. Ce n’est pas seulement un compagnon, c’est un maître.

Il ne nous reste plus à visiter dans la filature qu’un seul atelier, et celui-ci n’occupe que des femmes. Nous ne l’avons pas signalé encore, parce qu’il ne dépend pas du moteur mécanique ; c’est l’atelier du dévidage et de l’empaquetage. On y apporte dans de grands paniers les broches couvertes du fil destiné à être dévidé ; on forme de ce fil