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beaucoup de terrain, qu’elles menaçaient d’envahir tout le royaume. Sans doute ils ont exagéré l’importance du mouvement réformiste, afin de faire mieux ressortir les services inestimables que Philippe II et l’inquisition auraient rendus à l’Espagne en la délivrant de l’hérésie ; mais, cette réserve faite, on sent, en lisant leurs appréciations, qu’ils ont eu peur ; ils ne dissimulent même point qu’ils ont tremblé, et on peut les croire sur parole, car ils ont singulièrement exagéré la grandeur du péril. Illescas, Herrera, Cabrera, Paramo, cet historien complaisant de l’inquisition, tous sont unanimes à constater les progrès sourds et rapides qu’avait déjà faits la réforme, quand elle fut découverte et comprimée. Ils reconnaissent, non sans d’amers regrets, qu’à la tête de ce mouvement étaient des hommes illustres par la naissance, distingués par le talent, par l’autorité légitimement acquise dans l’art de convaincre et de persuader. Ils ont aussi merveilleusement deviné d’où venait le mal ; ils en ont découvert la source, montré l’origine. C’est, disent-ils, de l’Allemagne et de la Flandre qu’ont été importées ces idées par ceux-là mêmes qui, chargés de convertir les hérétiques, ont donné dans leurs erreurs. La propagande se faisait en effet par des livres venus de l’étranger, écrits par des expatriés, introduits par des Espagnols initiés aux doctrines de la réforme, commentés dans la chaire ou dans les écoles par des prédicateurs qui avaient suivi Charles-Quint dans les pays du nord, et qui, dès la diète de Worms, dès la confession d’Augsbourg, avaient frayé avec les réformateurs allemands.

Les premiers prosélytes sont d’abord en fort petit nombre, isolés et par cela même moins exposés à la persécution. Toutefois, sous le règne même de Charles-Quint, en dedans et au dehors de l’Espagne, quelques-uns expirent sur le bûcher. Les universités elles-mêmes manifestent des tendances vers les enseignemens des réformateurs ; des théologiens éminens, compromis ou suspects, comparaissent devant l’inquisition, et sont forcés de se rétracter, d’abjurer des propositions hérétiques ; ils subissent des pénitences humiliantes. Malgré ces répressions, la semence germe, les doctrines évangéliques se propagent, des églises se forment, et pendant douze ans, à Séville, à Tolède, à Valladolid, à Toro, à Logrono, à Palencia, dans la Navarre, en Aragon, sur tous les points de la Péninsule, la religion réformée est enseignée, pratiquée en secret. Ceux qui l’embrassent ne sont ni luthériens, ni calvinistes ; ils sont chrétiens au sens rigoureux du mot, ils professent la pure doctrine de l’Évangile. Dégagés de tout élément mondain, sans visées politiques, sans ambition, ils croient en esprit et en vérité, et se proposent uniquement d’opérer une révolution morale, une régénération du peuple espagnol, livré à la superstition, au matérialisme, à l’idolâtrie, aux pratiques mesquines, docile aux caprices du despotisme théocratique,