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L’archevêque de Tolède, primat des Espagnes, était après le pape le premier dignitaire de l’église, et l’archevêque de Tolède n’était pas Valdès. Le fanatique cardinal Siliceo[1] venait de mourir, et le grand-inquisiteur, archevêque de Séville, croyait recueillir sa succession. La primatie aurait comblé ses vœux ; elle fut conférée à un illustre dominicain, Bartholomé Carranza, de Miranda, une des lumières du concile de Trente. Charles-Quint avait de bonne heure distingué sa haute capacité. En 1542, il le nomma évêque de Cusco ; Carranza refusa la mitre. Nommé à l’évêché des Canaries en 1549, c’est encore par un refus qu’il répondit à l’empereur, qui dès lors conçut pour lui une grande estime. Quand l’infant Philippe alla à Londres épouser la reine Marie Tudor, Carranza fut attaché à sa personne. Il se signala en Angleterre par son zèle contre les hérétiques, et la reine nomma Carranza son confesseur. Cet emploi n’empêcha pas le dominicain de continuer à faire brûler des livres, parfois des hommes, avec un zèle de persécution qui lui valut le surnom de « moine noir. » Il méritait doublement ce surnom à cause de son teint olivâtre et de son costume. Avant de passer en Angleterre, sa réputation était solidement établie, non-seulement par l’autorité que lui avaient acquise son savoir et son éloquence, mais encore par la haine qu’il avait fait paraître contre les hérétiques. Chargé par le concile de Trente de dresser le catalogue des livres hétérodoxes ou suspects, il s’acquitta de cette tâche à la satisfaction générale : les ouvrages non répréhensibles furent envoyés au couvent des dominicains de Trente, les autres furent brûlés ou jetés dans l’Adige. Quand le malheureux San-Roman fut brûlé vif à Valladolid pour crime d’hérésie luthérienne, Carranza prêcha le sermon de la foi ; tant de titres lui gagnèrent la faveur de Philippe II, et il fut élevé au premier siège épiscopal de l’Espagne. Cette élévation fut la cause de sa ruine. Carranza, averti peut-être par un secret pressentiment, refusa d’abord la dignité qu’on lui offrait : il désigna même trois théologiens d’un grand mérite comme plus dignes que lui de la remplir ; mais Philippe II voulut être obéi, fit approuver la nomination par le pape, et le nouvel archevêque reçut ses bulles de confirmation sans les avoir sollicitées. À peine connue de Charles-

  1. Siliceo avait été précepteur de Philippe II. Homme médiocre et de basse extraction, il fut poussé par la faveur à l’archevêché de Tolède. Il avait de fréquens démêlés avec son chapitre ; il persécutait les principaux chanoines, les flétrissait publiquement, et allait jusqu’à troubler le repos des morts. En provoquant ces recherches ignominieuses, il prétendait prouver que la plupart des chanoines de Tolède étaient issus de familles juives. Cette circonstance explique une réponse très incisive de Constantino Ponce de la Fuente. Le chapitre de l’église métropolitaine ayant voulu se l’associer, l’illustre théologien déclina cet honneur, non sans ajouter que ses ancêtres donnaient depuis longtemps dans la paix du tombeau, et qu’il n’avait aucune envie dédoubler leur sommeil.