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fray Juan de Regla et fray Francisco de Villalba. Le premier, accusé de partager les opinions de la réforme, dut s’expliquer devant l’inquisition et rétracter publiquement quelques propositions malsonnantes. La peur du danger qu’il avait couru le rendit féroce ; il devint un persécuteur zélé de l’hérésie. Le second, devenu après la mort de Charles-Quint prédicateur de Philippe II, fut arrêté par la suite sous la même inculpation, et n’échappa que par la mort à une condamnation inévitable. Les inquisiteurs fermaient les yeux sur les fautes les plus graves contre les mœurs et la discipline ; mais en matière de dogme ils étaient intraitables. De là tant de délations où éclataient les haines monacales et les rancunes théologiques.

Le dernier acte de foi célébré à Séville nous montre en effet ces haines et ces rancunes poursuivant un des chefs de la réforme jusque dans la tombe. Constantino de la Fuente fut brûlé en effigie. Cette effigie était si parfaite qu’elle reproduisait merveilleusement tous les traits de l’original. C’était une statue d’un travail achevé, représentant le célèbre réformateur dans l’attitude qui lui était familière lorsqu’il prêchait dans la cathédrale de Séville. La mort l’avait soustrait au supplice, mais l’inquisition avait fait exhumer ses os pour les livrer aux flammes avec ceux d’Egidius. Ainsi les deux grands promoteurs de la réforme, arrachés à la paix du tombeau, venaient rendre témoignage à la foi qu’ils avaient propagée, et dont on allait consommer la ruine. Le nom de Constantino était toujours populaire : ni les menaces ni les menées de l’inquisition n’avaient pu rendre sa mémoire odieuse. Le peuple, qui avait si avidement écouté sa parole, lui donna, en ce jour de deuil un dernier souvenir. L’impression produite par son image sur la foule fut bien différente de celle qu’on prétendait produire. Tous les regards étaient fixés sur cette chaire où l’on croyait voir en personne, où l’on croyait entendre celui dont la voix était éteinte depuis trois ans. Les inquisiteurs s’inquiétèrent de la curiosité sympathique des assistans. Quand vint le moment de lire la sentence au réformateur trépassé, le tribunal, violant les règles établies, fit enlever la statue de Constantino et ordonna que la sentence fût lue devant les juges. Ceux-ci occupaient une estrade élevée, et le peuple, à cause de la distance, ne pouvait entendre le lecteur. Cette circonstance donna lieu à un grand tumulte, et les inquisiteurs durent céder aux réclamations de la foule. La statue fut remise en évidence à la place qu’elle avait occupée d’abord, et la sentence fut lue du haut de la tribune. La lecture dura une demi-heure. Tous les griefs portaient sur les écrits de Constantino, que l’on s’était empressé de détruire. Quant à sa personne même, l’arrêt se bornait à dire que les choses qui la concernaient étaient si abominables qu’elles ne pouvaient être révélées sans péché. La statue qui avait joué un rôle si considérable