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un sentiment d’humanité, mais pour ôter aux martyrs la gloire de leur constance inaltérable, et persuader à la foule qu’ils mouraient convertis.

Un autre de ces martyrs, Fernando de San-Juan, était le directeur d’un collège de Séville. Chargé d’instruire les enfans dans les principes de la religion, il les initia aux doctrines évangéliques. Dénoncé comme luthérien, il avoua dès le premier jour, et, malgré cet aveu, il fut soumis à d’atroces tortures : un reste de vie lui fut laissé pour attendre le jour du supplice. Sa face n’avait plus rien d’un homme, son corps n’était qu’un cadavre vivant ; son âme n’avait jamais fléchi. Trois jours avant sa mort, il eut encore assez d’énergie pour raffermir le courage d’un jeune moine que les tourmens avaient ébranlé. Ils moururent ensemble. Sommé de se rétracter au dernier moment, il répondit qu’il n’en ferait rien ; on lui remit le bâillon, et il fut brûlé vif.

Le pasteur de l’église réformée de Séville, Cristobal de Losada, était un médecin que l’amour avait converti à la foi protestante. Le père de la jeune fille qu’il aimait, fermement attaché aux doctrines de la réforme, voulait un gendre qui partageât ses croyances. Soit amour, soit désir de s’instruire, Losada fit des progrès si rapides comme disciple du docteur Egidius, qu’il fut jugé digne de diriger cette église, à laquelle il s’était voué. Il fut arrêté l’un des premiers. Les plus zélés théologiens s’évertuèrent à le ramener, et jusqu’au dernier moment disputèrent avec lui. Losada s’exprimait avec une aisance merveilleuse. La dispute avait commencé en espagnol ; les argumentateurs, craignant l’effet de cette prédication, continuèrent l’argumentation en latin. Losada, entraîné par la dispute, se mit à parler dans cette langue avec une élégante facilité. Tous ceux qui pouvaient l’entendre admiraient un homme qui, au seuil de la mort, conservait sa présence d’esprit et se montrait encore excellent humaniste. Losada fut brûlé vif.

Julian Hernandez, natif de Villaverde-de-Campos, avait été élevé en Allemagne. Vivant sans cesse au milieu des hommes les plus instruits, il s’était attaché aux doctrines des réformateurs, et avait conçu le projet de les répandre en Espagne. Il était dévoué, résolu et d’une énergie qui contrastait singulièrement avec sa frêle complexion. Julian passa trois ans dans les prisons du saint-office ; il ne parut que dans l’acte de foi de 1560. On avait espéré qu’il ferait des révélations : chaque interrogatoire amenait de nouvelles tortures ; mais ce corps chétif était rompu à la souffrance, l’âme restait ferme, et chaque supplice était pour le patient l’occasion d’un nouveau triomphe. Quand de la salle de torture on l’emportait brisé dans son cachot, il avait l’habitude de chanter ce refrain :