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rendre, et il en témoigna ses sincères regrets. Le premier soin des inquisiteurs fut de faire raser la maison d’une dame nommée doña Isabel de Baena, où les coreligionnaires tenaient leurs conférences. Sur un monceau de décombres, une pyramide fut dressée avec une inscription commémorative : Para, eterna infamia de los desatinados hereges (pour l’éternelle infamie de ces insensés d’hérétiques).

La première victime de l’acte de foi du 24 septembre 1559 était le fils du comte de Baolen, Juan Ponce de Léon. Sa bienfaisance sans faste l’avait rendu populaire. Depuis sa conversion aux doctrines de la réforme, il vivait dans une maison retirée, qu’il ne quittait que pour aller hors de la ville visiter le champ où l’inquisition faisait exécuter ses arrêts. D’un caractère mélancolique, il avait peut-être un pressentiment de sa fin prochaine, et il allait méditer en face de ce brûloir (quemadero) où lui-même devait monter. Dans les prisons du saint-office, il eut un moment de faiblesse ; il céda aux instances d’un confesseur opiniâtre. Par ce fait seul, il était réconcilié à l’église ; mais la veille du triomphe il refusa la confession et déclara hautement sa foi. Il mourut par le feu, et dans le procès-verbal de la cérémonie on voit qu’il avait persisté jusqu’au bout dans les opinions luthériennes : Juan Ponce de Léon, quemado por herege luderano pertinaz. Raymundo Gonzalez de Montés, écrivain protestant, a consigné l’histoire de Juan Ponce de Léon, qu’il avait personnellement connu, dans le récit qu’il a fait des actes de foi de Séville.

Parmi les condamnés, on remarquait un groupe de quatre femmes, Isabel de Baena, Maria Viruès, Maria Coronel et Maria de Bohorques ; celle-ci avait à peine vingt ans. D’une beauté remarquable et d’une rare instruction, elle avait eu pour maître le docteur Egidius. Familière avec les choses les plus difficiles de la religion, possédant les textes de l’Écriture, elle confondait les théologiens qui avaient entrepris de la ramener. Comme elle parlait à merveille, on lui mit un bâillon ; mais au dernier moment, quand on lui rendit la parole pour lui laisser la liberté d’abjurer, elle exhorta ses compagnes à persévérer, et elles persistèrent, jusqu’à la mort. Avec non moins de constance que Maria de Bohorques mourut une jeune fille, Francisca de Chavez, religieuse du couvent de Santa-Isabel. Comme Maria de Bohorques, elle avait reçu les leçons d’Egidius. Ame intrépide dans un corps frêle, on rapporte que, dans ses réponses, Francisca faisait rougir les inquisiteurs : elle les appelait sans détour « chiens muets » et « race de vipères. » Pour atténuer l’impression que devait produire le spectacle de ces faibles femmes, si fermes devant le bûcher, on les étrangla avant de les livrer aux flammes. C’était un adoucissement au supplice du feu, et l’inquisition en usait souvent même envers les condamnés les plus tenaces, non point par