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la réforme avait-elle fait tant de progrès ? C’est ce qu’il faut expliquer brièvement.

En 1530 vivait à Séville un jeune homme de Lebrixa dont la vie était loin d’être exemplaire. Par un changement subit dans sa conduite, il renonça aux plaisirs mondains, et il se mit à lire et méditer la Bible avec ardeur. Rodrigo de Valer (c’était son nom) reconnut bientôt l’ignorance de ceux qui avaient charge d’âmes, et il reprocha hautement au clergé son incurie et ses vices. Dénoncé à l’inquisition, il échappa au supplice, parce qu’on le crut fou. Toutefois ses biens furent confisqués, et on le força d’assister tous les dimanches, revêtu d’un san benito, à l’office de l’église San-Salvador. Rodrigo était fort attentif au sermon : quand le prédicateur ne raisonnait pas à son goût, il ne se gênait pas pour le contredire et le redresser. Sa propagande pouvait devenir dangereuse, l’inquisition en fut alarmée ; elle l’éloigna de Séville et l’envoya dans un couvent de San-Lucar, où il mourut âgé de cinquante ans. Longtemps après sa mort, on montrait encore dans la cathédrale de Séville son habit de pénitence, un grand san benito, au-dessous duquel on lisait en grosses lettres « Rodrigo de Valer, apostat et faux apôtre. » Les protestans espagnols en firent une espèce de prophète, un inspiré. Inspiré ou non, Rodrigo de Valer peut être considéré comme le premier promoteur de la doctrine évangélique en Espagne. C’est lui qui professa le premier en public, en dehors de toute influence étrangère, le christianisme selon l’Évangile ; c’est lui qui instruisit ou du moins qui prépara à l’instruction religieuse le docteur Juan Gil ou Egidius, un autre chef de la réformation espagnole.

Juan Gil était chanoine magistral de la cathédrale de Séville. Sa réputation de savoir lui avait valu cette dignité, où il avait été promu par élection, contre la coutume du chapitre, qui nommait au concours. Élevé dans les disputes de l’école, où il excellait, Egidius entendait peu la prédication. Rodrigo de Valer devina sous le disputeur scolastique le grand prédicateur ; il le vit, eut avec lui de fréquens entretiens, lui conseilla de puiser dans l’étude des livres saints l’inspiration qu’il cherchait en vain dans ses auteurs. Bientôt Egidius prêcha comme on ne prêchait plus en Espagne, avec simplicité, avec onction, et son succès fut grand. Charles-Quint l’appelait à l’évêché de Tortose en 1550. C’était après Tolède le siège le plus riche de l’Espagne. Cette marque de haute faveur causa la perte d’Egidius. Sa nomination irrégulière comme prédicateur lui avait déjà fait beaucoup d’ennemis ; quand ils le virent comblé d’honneurs, leur haine éclata. Il fut accusé de propager des doctrines suspectes, et l’on n’oublia pas de représenter au saint-office qu’en 1545, lors de la condamnation de Rodrigo de Valer, Juan Gil avait intercédé pour l’accusé. Jeté en prison, Egidius écrivit