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recommandait à son fils d’écraser les hérétiques, de les châtier d’une façon éclatante, sans égard pour la qualité des coupables, et de poursuivre contre eux une guerre d’extermination sans trêve ni merci. Pour assurer la prospérité du royaume et son propre repos, il lui recommandait encore de protéger l’inquisition pour tout le bien qu’elle avait fait et tous les services qu’elle devait rendre encore. Telle est en substance la dernière pensée politique du plus puissant monarque qui ait existé depuis Charlemagne. Les lettres qu’il écrivait à sa fille, alors régente d’Espagne, les messages fréquens qu’il adressait à l’inquisiteur général et au président du conseil de Castille sont empreints du même esprit. Ses volontés furent ponctuellement exécutées. Son successeur inaugura un nouveau système de gouvernement. Charles-Quint avait passé sa vie à courir l’Europe, et l’on a vu comment le résultat de ses courses fut de propager malgré lui les doctrines qu’il détestait. Quand il mourut, le mal était fait, et ce fut pour le couper à sa racine que Philippe II s’enferma en Espagne pour ne jamais plus en sortir, et enferma l’Espagne avec lui. À ce prix, il la sauva de la contagion, en usant largement du fer et du feu. Un mot de lui le peint tout entier : « Je perdrais mes états et cent fois la vie, si j’avais cent vies, plutôt que de consentir à régner sur des hérétiques. »

Le protestantisme espagnol ne s’en fortifiait pas moins hors de l’Espagne. Des prosélytes de la doctrine évangélique, isolés ou réunis, travaillaient à Naples, à Francfort, à Genève, dans les villes protestantes de l’Allemagne et des Pays-Bas, à la propagation de la religion réformée. Une véritable correspondance littéraire s’établit régulièrement entre les protestans de la Péninsule et leurs coreligionnaires expatriés. Médina-del-Campo et Séville devinrent les deux principaux centres de la propagande religieuse ; les ouvrages de religion, en latin ou en espagnol, se vendaient à vil prix, et n’en circulaient que mieux. Quand la surveillance de l’inquisition eut rendu plus difficile l’introduction des livres suspects, les ouvrages destinés aux protestans espagnols furent déposés à Lyon, d’où ils pénétraient en Espagne par les frontières de l’Aragon et de la Navarre. En 1557, un homme intelligent autant qu’intrépide, Julian Hernandez, plus connu sous le nom de Julianillo ou Julien le Petit, partit de Genève, où il était correcteur d’imprimerie, et introduisit en Espagne des tonneaux à double fond qui contenaient une petite quantité de vin de France et un très grand nombre de livres protestans, parmi lesquels plusieurs exemplaires de la traduction espagnole du Nouveau-Testament du docteur Juan Perez. Ces livres furent laissés en dépôt dans un couvent dont les moines partageaient pour la plupart les doctrines de la réforme. Un traître dénonça la contrebande, et l’inquisition fit arrêter d’un seul coup huit cents personnes. Comment