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d’un redoutable avenir, raviver toutes les émotions de son cœur par le souvenir de 1812 et de son père, par les suggestions de ses fils, dont il tenait le sort futur entre ses mains, par les soupçons injustes d’une partie de ses sujets, dont il voulait conserver l’estime sans trahir imprudemment leurs intérêts. Roi constitutionnel et scrupuleux observateur de la réserve que les lois de son pays lui imposaient dans les affaires intérieures, il se retrouvait, en face de la grande question de la guerre ou de la paix, à peu près seul responsable, et il sentait tout le poids de cette responsabilité. Toutes les dépêches importantes étaient conçues par lui ; à lui seul aboutissaient tous les fils d’une négociation qui devait rester longtemps secrète, et dans laquelle M. le baron de Manderström était son seul collaborateur et son seul confident. Le travail assidu, le travail des nuits, s’ajoutait ainsi trop souvent à son inquiétude et à ses scrupules. Il n’eut le temps, après ce principal épisode de son règne, que de désigner, comme nous l’avons vu, aux différens membres de la famille scandinave le chemin qu’ils avaient à suivre. Dès l’année suivante, la cruelle maladie dont il portait le germe, dont il avait déjà ressenti les atteintes, augmentée par une blessure morale et par un effort intellectuel que le secret et l’attente avaient envenimé, s’empara de son esprit comme de son corps. Il dut déposer le fardeau des affaires, et le 8 juillet 1859 il s’éteignit, n’offrant plus déjà que l’ombre de lui-même, mais entouré de respect et de reconnaissance, et presque également pleuré de sa famille et de ses peuples. « Au moment où s’éteint ma vie mortelle, disait l’éloquent adieu de son testament, que ces feuilles reçoivent et conservent l’expression de ma gratitude pour l’affection douce et profonde dont une épouse chérie m’a sans cesse entouré, pour le bonheur et l’éclat que ses rares vertus et sa haute intelligence ont répandus sur la famille royale et sur le royaume, pour la soumission et la confiance que mes chers enfans m’ont toujours témoignées, pour le zèle patriotique avec lequel mes fils m’ont assisté dans les soins du gouvernement, pour la fidélité loyale avec laquelle tous les serviteurs de l’état ont accompli leurs missions et satisfait à leurs devoirs, enfin pour l’affection et l’amour que je n’ai cessé de rencontrer chez mes peuples ! Que la grâce et la bénédiction du Très-Haut reposent sur les deux royaumes et sur la famille royale ! C’est l’expression de ma dernière prière, c’est l’expression de mon dernier soupir ! »

Le fils de Bernadotte appartenait à cette génération, de citoyens ou de rois, qui a vu sortir de l’ancien régime l’ordre nouveau, qui a dû à cet ordre nouveau toutes ses idées, toute son élévation et toute sa grandeur, qui, au lieu de demander à la liberté politique, noble base du jeune édifice, tous les droits, en a accepté avant tout et de préférence tous les devoirs, qui a confondu ensemble dans un