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froid, tout en accueillant de grand cœur les désirs d’affranchissement et même l’espoir anticipé des conquêtes, voyait, à côté des brillantes perspectives qui semblaient s’ouvrir devant la Scandinavie, les dangers que pouvait receler l’avenir, et le sentiment qui dominait chez le fils de Bernadotte était celui de la lourde responsabilité qu’il encourait.

Nous ne tenterons pas de refaire en entier l’histoire du traité du 21 novembre 1855 entre les puissances occidentales et la Suède que nous avons déjà esquissée ici[1]. Nos informations, devenues plus complètes encore, n’ont fait que confirmer ce que nous avons avancé une première fois : le roi Oscar a montré dans ce grave épisode de son règne une prudence à laquelle s’est ajoutée très vite une hardiesse généreuse, qui s’inspirait des sentimens les plus libéraux ; le roi Oscar a, dès la première année de la guerre, offert la coopération de la Suède en échange des subsides et des garanties nécessaires ; le roi Oscar a solennellement revendiqué l’indépendance de la Suède et sa liberté d’action ; il a replacé son pays dans les voies de sa politique traditionnelle, que le triste épisode de 1812 avait malheureusement interrompue.

La première démonstration du cabinet suédois après la déclaration de guerre fut de proclamer pour les royaumes-unis et pour le Danemark une neutralité armée : acte de prudence nécessaire, alors que les nations occidentales ne lui avaient fait encore aucune offre de secours ; mais déjà cette neutralité elle-même, avec les conditions qu’elle comportait, pouvait passer pour un acte hardi envers la Russie, et favorable à la France et à l’Angleterre. L’empereur Nicolas avait demandé que les ports de Suède et de Norvège fussent fermés aux navires des deux puissances occidentales, et il avait émis la prétention que le port de Slitö, situé dans l’île suédoise de Gottland, et qui ne gèle que rarement, restât ouvert à sa flotte comme lieu de refuge exclusivement assuré. Par dépêche du 31 janvier 1854, on expédia de Stockholm à Saint-Pétersbourg un refus formel à ce sujet. Les ports Scandinaves, sauf certaines restrictions, offrirent aux flottes alliées des moyens de relâche et de ravitaillement. Il fut décidé que les pilotes royaux ne pourraient refuser de conduire les bâtimens de guerre étrangers, et l’on songea dès février à expédier dans Gottland de dix à onze mille hommes avec quarante canons ; bien plus, le roi se rendit, deux mois après, avec le prince royal, dans cette île, et, en remettant à la milice locale de nouveaux drapeaux, il l’engagea, « si quelque ennemi voulait arracher à la mère-patrie cette belle île, perle précieuse dans la couronne de Suède, » à la défendre avec courage. On ne laissa pas que d’être inquiet à Stockholm jusqu’à

  1. Voyez la Suède avant et après le traité de Paris, dans la Revue du 1er juin 1856.