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répandre son influence dans le Finnmark norvégien, mais à l’occuper et à en faire une de ses provinces en dépouillant le roi de Suède. Personne n’ignore quel immense intérêt excitait de ce côté sa convoitise : tandis que ses matelots, dans la Mer-Blanche, sont emprisonnés par les glaces et cloués à terre pendant six mois de l’année, les profonds golfes de la Norvège septentrionale, soit à cause de la violence des courans, soit par l’effet des eaux du gulfstream qui les réchauffent, ne gèlent jamais ; si le gouvernement russe, s’en emparant, parvenait à y fonder des établissemens militaires, il commandait la Mer du Nord comme la Baltique et la Mer-Noire. Même pendant la mauvaise saison, il pouvait entretenir et faire mouvoir dans ces ports toujours ouverts des flottes capables d’inquiéter l’Angleterre et la France, et, par le nord et l’ouest comme par l’orient et le sud, il enserrait et maîtrisait le continent européen. Après de longues intrigues, pendant lesquelles le cabinet suédo-norvégien avait eu à souffrir de ses violences et de sa mauvaise foi, il avait cru toucher au but. En 1847, on avait vu paraître dans ces pauvres contrées un agent russe, M. le baron Ungern-Sternberg, qui, préludant avec même imprudence et même hauteur à la mission fameuse du prince Menchikof six ans plus tard à Constantinople, avait déclaré qu’il était temps d’en finir, que le Finnmark était fief de la Russie, et qu’on devait se préparer à l’occupation moscovite.

Les choses en étaient là, et l’Europe était ainsi menacée, soit par l’audacieux coup de main que la Russie tentait dans la Mer-Noire, soit par ses envahissemens silencieusement préparés dans les régions polaires, quand la guerre d’Orient éclata et réunit l’Angleterre et la France dans le commun projet de sauvegarder à la fois Constantinople, la Baltique et le Nord.

L’alliance des deux puissances occidentales contre la Russie devait assurément sourire tout d’abord à la Suède. Par la position géographique, par les traditions d’ancienne amitié, par le génie et par les mœurs, la France était son alliée naturelle. Il avait fallu des complications extraordinaires et terribles pour armer l’une contre l’autre en 1812 les deux nations. Les Suédois voulaient espérer que ces souvenirs étaient effacés, et que nul engagement datant de cette époque ne pesait plus désormais sur eux. Voir la France unie contre la Russie, qu’ils détestaient, à l’Angleterre, leur puissante et redoutable voisine, dont l’amitié, si elle devenait possible et qu’elle fût acceptée, devait être décisive, c’était rencontrer dans le jeu mouvant des circonstances politiques une conjoncture inappréciable, qui semblait autoriser, pourvu qu’on en profitât habilement, les plus magnifiques espérances.

Ainsi raisonnaient les peuples, qui se laissent volontiers conduire par leurs affections. Le roi Oscar, tenu à pi Ils de réflexion et de sang-