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par des réformes intérieures et une longue modération au dehors, aura réconcilié avec elle les peuples de la péninsule et ceux du continent, qui sont devenus plus que jamais solidaires.

On sait de quel poids, devenu insupportable, l’amitié russe pesait sur la nation et sur la cour de Suède pendant les dernières années du règne de Charles-Jean. Des articles secrets avaient été ajoutés en 1812 au traité d’Abo. L’opinion publique le savait, et, sans les connaître exactement, elle en exagérait l’étendue. On parlait mystérieusement de l’intervention possible d’un corps d’armée russe dans les querelles intérieures de la Suède ; on affirmait qu’une pareille intervention avait été offerte par le cabinet de Pétersbourg en 1838, quand des émeutes avaient agité la capitale : si le trouble avait duré, on aurait vu les soldats russes rétablir l’ordre dans les rues de Stockholm. La cour ne démentait pas ces bruits, qui étaient vrais en partie ; Charles-Jean était opprimé sous d’anciens engagemens. Au milieu de cette inquiétude générale des esprits, le moindre incident suffisait à faire éclater la passion populaire et à réveiller des haines héréditaires : le Russe n’était plus que le ravisseur de la Finlande et l’ennemi commun de toute liberté. Le mécontentement public se contenait à peine, quand en 1831 un agent du gouvernement provisoire de Pologne, le comte Zalucki, venait implorer inutilement le cabinet de Stockholm, signataire des traités de 1815 ; quand la même année le tsar devenait parrain d’un prince de Suède, lorsqu’en 1834 le comte Gustave de Löwenhielm, ministre de Suède à Paris, recevait mission d’aller à Pétersbourg représenter Charles-Jean pour l’inauguration de la statue d’Alexandre, au pied d’un monument dont la première pierre avait été rapportée de Pultava et dont les bronzes avaient été fondus avec les canons suédois de Sveaborg ou de Rathan, pris pendant la campagne de Finlande ; enfin quand le prince Menchikof venait avec fracas, après maints cadeaux russes distribués à la cour de Stockholm, remercier le roi d’une telle démonstration, qui répugnait au peuple. De sourdes accusations, peut-être d’aveugles calomnies flétrissaient en Suède quiconque était suspect de bon vouloir ou de relations amicales avec la Russie. On prétendait que la légation russe avait mission de ruiner le pays en achetant les consciences. L’aristocratie suédoise, disait-on, était devenue un vaste dépôt de mendicité, et la corruption était habituelle et régulière… Peu s’en fallait que les agens russes ne fussent insultés publiquement dans Stockholm. Un jour un brick venu de Saint-Pétersbourg amène une trentaine de soldats portant divers uniformes russes. Commandés par les deux fils du général Suchtelen, ces soldats traversent la ville et sont passés en revue par Bernadotte chamarré de décorations russes. Le peuple de Stockholm, fort surpris, se demande si c’est d’une prise de possession ou d’une