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de fond à certaines apparitions radieuses et fugitives ; une joue qui rougit me rappelle la teinture de tournesol… Hélas !

: Soles occidere et redire possunt…


Mais qui me donnera un réactif capable de rendre leur éclat aux roses fanées de l’année mil huit cent… ? Ayons pitié d’elles ! Ainsi que je vous le disais, le phosphore met le feu à cette traînée de souvenirs ; ses lumineuses vapeurs, avec leur odeur pénétrante, me jettent dans une sorte d’extase… Seulement les allumettes chimiques allemandes, — ohne phosphor geruch, — ont un peu usé ma sensibilité à cet endroit.

« Le souci de même. À l’époque où j’étais encore de dimensions assez réduites pour voyager à cheval, incrusté dans la fourchette paternelle, nous traversions parfois le pont de la bourgade voisine, et là nous faisions halte en face d’un cottage aux murailles basses et brunes, au toit chevelu. Il en sortait une certaine Sally, sœur du brun fermier, brune elle-même, lèvres ombragées d’un léger duvet, voix triste, qui, se penchant sur ses plates-bandes, cueillait ce qu’il lui plaisait d’appeler « un bouquet » pour le donner au « petit garçon. » Sally est maintenant couchée dans le cimetière avec une plaque d’ardoise bleue au-dessus de sa tête ; le lichen envahit ce dernier vestige, qui depuis quelques années penche visiblement. Le cottage, les plates-bandes, les bouquets et les sauvageons d’oignon, — le plus monstrueux légume que je connaisse, — alignés comme des grenadiers à la parade, rien de tout cela n’existe plus : mais l’odeur du souci les fait reparaître devant moi… »


« Le « vieux gentleman en face » ne faisait pas, je crois, grande attention à mes paroles ; mais, tandis que je discourais ainsi sur le sens de l’odorat, il se nichait commodément au fond de son fauteuil, et finit par extraire de sa poche un vaste foulard rouge, vrai bandanna, puis, se trémoussant encore un peu du côté opposé, il retira, non sans peine, des profondeurs où elle reposait, une ample tabatière de forme ronde. Je la lui regardais ouvrir, et je l’observais pétrissant la prise accoutumée. Dans le rappee humide gisait une fève de Tonka. Je fis de la main ce geste bien connu de toute l’humanité priseuse, et mon cerveau, à l’heure même, répondit à ce stimulant dont je n’avais pas usé depuis tant d’années. »


« O jeunes gens, — qui le fûtes ! — papas et grands-papas peut-être de l’ère présente, — quelques-uns avec des crânes qu’un joueur de billard comparerait à ses billes, — d’autres à cheveux noirs argentés, — d’autres à cheveux d’argent rayés de noir, — vous rappelez-vous, à moitié endormis sur ces lignes, ces après-dîners aux Trois-Frères, alors que la tabatière au plaid écossais circulait à la ronde, et que le lundy fool bien sec se frayait sa voie chatouilleuse dans nos sensoria béatifiés !… C’était alors que le chambertin ou le clos-vougeot faisait son entrée, mollement couché dans son berceau d’osier (vrai Moïse sauvé de l’eau) ! — Et il était un de vous, — vous ne l’avez pas oublié sans doute, — qui demandait toujours un morceau de glace à mettre dans son vin de Bourgogne : il le faisait tinter contre les parois cristallines