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du sucre en quantité équivalente à celle que la maturation aurait naturellement produite dans des circonstances plus favorables de température ; il assurait qu’en certains cas cette addition avait quadruplé la valeur du vin. C’était beaucoup dire sans doute, et cependant l’on est allé plus loin, en prétendant de nos jours qu’il était facile de doubler, de quadrupler parfois le volume des vins ordinaires, et même des vins fins, dont la qualité même était ainsi améliorée. Il ne s’agissait plus, comme l’avait conseillé Chaptal, de compléter par le sucre brut de canne le sucre de raisin qui manquait dans les moûts faibles, mais bien d’ajouter à la vendange de l’eau sucrée en quantité égale, double ou triple, du volume du jus naturel, car, disait-on, tous les principes sapides et colorans se trouvent, à l’exception de la substance sucrée, en un tel excès dans le raisin venu à maturité, que les deux tiers au moins refusent de s’y dissoudre et restent en pure perte dans le marc pressé. Si donc on mettait ces principes sapides et colorans en présence d’une quantité d’eau sucrée suffisante pour en opérer la dissolution, ils compléteraient tous les élémens nécessaires à la constitution des vins de bonne qualité, et pourraient tripler le produit brut de la vendange.

Le raisonnement était spécieux. Un certain nombre de viticulteurs s’y laissèrent prendre, et l’on vit en 1856 paraître à l’exposition agricole de Paris des vins de quelques crus renommés dont les propriétaires se vantaient d’avoir doublé le volume en améliorant la qualité, espérant sans doute une récompense proportionnée à l’importance du résultat ; mais les membres du jury, aidés de l’avis des habiles dégustateurs de Paris, ne pouvaient partager l’illusion des exposans : ils crurent devoir, dans l’intérêt même de ceux-ci, s’abstenir de mentionner leurs produits. Peu de temps après, la question, portée devant les congrès viticoles des propriétaires bourguignons, y fut l’objet de discussions approfondies, et, à la suite d’expériences incontestablement défavorables, il fut décidé, d’une voix unanime, que, dans l’intérêt mieux entendu de la juste renommée de nos grands crus de la Côte-d’Or, tous mélanges d’eau sucrée dans les cuves devaient être rigoureusement proscrits.


IV

Quand le vin est produit, d’autres questions se présentent, et en première ligne les questions commerciales. Si la classification des treilles et des cépages intéresse les viticulteurs, la classification des vins doit préoccuper surtout les commerçans. Les produits de la Côte-d’Or, de la Gironde, de la Champagne, ont été à ce point de vue l’objet de remarquables études.