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dans les cuves cette fermentation alcoolique ? Déjà nous avons vu que l’écrasage non interrompu, au fur et à mesure de l’arrivée de la vendange aux ateliers qui précèdent les cuves et presses, constituait un des meilleurs procédés en usage pour préparer dans chaque cuve en bois, ou citerne en solide maçonnerie ouverte ou voûtée, une fermentation régulière[1], de beaucoup préférable au foulage opéré par des hommes entièrement ou à demi-nus, qui écrasent très incomplètement sous leurs pieds les raisins dont on a directement rempli les cuves.

Lorsque les grappes sont simplement pressées par leur propre poids, il s’en écoule spontanément une partie du jus le plus sucré provenant des grains les plus mûrs. On pourrait soutirer à part ce premier jus, qui produirait un vin délicat, mais peu coloré. C’est ainsi que les anciens préparaient une délicieuse liqueur vierge avant le foulage du raisin. Nous nous garderons bien de recommander cette méthode, car elle donne un premier produit trop doux, dépourvu de bouquet prononcé, et laisse un résidu dans lequel les substances astringentes et colorées surabondent. En supposant le cas le plus général qui se présente lorsqu’on a réuni l’ensemble des grains partiellement écrasés et des rafles dans la cuve, non-seulement le ferment se développe et provoque cette effervescence, signe certain de la production simultanée de l’alcool et du gaz acide carbonique, mais encore l’eau et les acides naturels du raisin, pénétrant dans les tissus sous les enveloppes des grains, y font dissoudre par degrés les matières colorantes, une certaine quantité de tanin et diverses essences. En même temps, réagissant sur les tissus plus résistans de la rafle et des pépins, le liquide acidulé en extrait plusieurs principes sapides, notamment encore du tanin, et y laisse engagée à sa place une certaine dose du moût déjà faiblement alcoolique. Le cuvage du moût en contact avec les pellicules, les pépins et les rafles a donc pour but et pour résultat de multiplier dans le vin les principes

  1. En Bourgogne, les cuves sont en bois, de forme conique, posées sur leur plus large base, afin que l’on puisse resserrer facilement, les cercles en bois ou en fer ; elles ont une contenance qui varie de 15 à 50 hectolitres. Les grandes citernes en maçonnerie, cimentées à la chaux, sont principalement en usage dans le midi de la France. Des poutrelles transversales à la partie supérieure supportent un plancher mobile sur lequel on jette le raisin. Des hommes piétinent avec leurs sabots en bois sur les grappes, puis, soulevant quelques planches, font tomber dans la citerne tout ce qui ne s’y est pas spontanément écoulé. On abrège le transport au moyen d’un chemin en pente douce qui permet aux voitures de monter facilement au niveau des bords, lors même qu’ils s’élèvent plus ou moins au-dessus du sol. Dans toutes les régions viticoles, lorsque la vendange tardive ne peut se faire que par un temps froid, la fermentation serait trop longtemps arrêtée, si l’on n’avait la précaution de récolter le raisin le plus possible après la rosée du matin, et mieux encore d’échauffer le cellier à 16 ou 20 degrés, et d’y étendre les grappes afin qu’elles prennent la température ambiante avant d’être écrasées.