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jusque-là. Ces fermens, organisés eux-mêmes, accomplissent une fonction providentielle en faisant éprouver à tous les corps ou produits complexes de l’organisme des transformations diverses, qui finalement les réduisent en vapeurs, gaz et résidus minéraux désagrégés, déblayant ainsi chaque jour le terrain pour des formations nouvelles, obéissant, dans de continuelles alternatives de développement des germes, de destruction apparente et d’assimilation nouvelle, aux lois primordiales qui maintiennent les grandes harmonies de la nature, et renouvellent les êtres vivans à la surface du globe. En dirigeant et surtout en arrêtant à point plusieurs transmutations spontanées de ce genre, on peut en tirer parti dans la préparation d’un assez grand nombre de nos substances alimentaires. C’est par exemple en transformant les sucres du raisin, de l’orge germée, des pommes, que nous savons fabriquer les différens vins, la bière, les cidres, plusieurs autres boissons alcooliques et gazeuses, l’eau-de-vie et l’alcool ; c’est en dépassant un peu, souvent à dessein, le terme normal de cette fermentation particulière et en faisant intervenir l’oxygène de l’air, que nous produisons à volonté des condimens acides, tels que le vinaigre. On voit que la connaissance des fermens et de leur mode d’action nous intéresse à divers titres. Les premières observations expérimentales sur cette partie de la physiologie contemporaine sont dues à Cagniard-Latour, ingénieux physicien, récemment enlevé à la science. En examinant sous le microscope la levure de bière qui se dépose pendant la fermentation active du moût d’orge, Cagniard-Latour reconnut que cette matière pâteuse, grisâtre, se compose de granules minimes, se reproduisant par de plus petits bourgeons arrondis, adhérons en chapelets ramifiés. Chaque granule est un très petit végétal complet. Plusieurs notions positives nouvelles ont confirmé ces premières données en les complétant. Cherchant moi-même à vérifier par l’analyse chimique si les lois générales que j’avais découvertes relativement à la composition des plantes et de leurs organes s’y pouvaient appliquer, je suis parvenu à reconnaître en effet que, comme tous ces organismes jeunes, et dans des proportions analogues, la levure de bière contient de la cellulose formant ses enveloppes globuliformes, et que toute la cavité est remplie de substances azotées, grasses, amylacées, minérales (phosphates, soufre et silice). De là l’explication de ce fait, jusqu’alors incompris : la multiplication des globules coïncidant avec l’accroissement d’activité de la levure dans le moût d’orge, — la diminution coïncidant aussi avec une perte totale de vitalité de cette substance dans les solutions aqueuses de sucre pur. L’explication est des plus simples : dans le moût d’orge, la levure, tout en réagissant sur la matière sucrée (glucose), trouve ce qui est indispensable à